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avaient proposé que les districts auxquels pouvait s’étendre le bénéfice du traité de Prague ne fussent pas compris, quant à présent, dans le territoire fédéral : vaines demandes, auxquelles M. de Bismarck, ministre ou chancelier, partout présent, opposait toujours mêmes réponses, mais protestations utiles contre l’injure faite à une vivante nationalité.

De leur côté, les commettans de MM. Ahlmann et Kryger ne cessaient de réclamer directement pour qu’on leur fît justice. Nul échec ne les lassait. A peine le projet de loi d’annexion était-il proposé aux chambres prussiennes, qu’ils faisaient leurs réserves dans une première adresse au roi Guillaume, dès septembre 1866. Lorsque, deux ans plus tard, le roi vint visiter les duchés, ses nouvelles provinces, pendant que les hobereaux du Slesvig-Holstein le suppliaient de se faire proclamer empereur d’Allemagne, les principaux habitans du Slesvig septentrional demandaient à lui présenter leur supplique, moins agréable; éconduits avec cette réponse que le roi de Prusse ne pouvait les écouter parce qu’il n’avait pas auprès de lui son ministre des affaires étrangères, ils prenaient acte du moins de ce qu’on reconnaissait ainsi à l’article 5 une portée diplomatique et internationale. C’est en se fondant sur ce même droit qu’avec le concours de tout le pays ils viennent de rédiger une adresse nouvelle signée par 27,500 citoyens, chiffre très important pour de si petits pays. Cette pétition invoque la pure et simple exécution de la réserve du traité de Prague; elle demande que la Prusse, comme elle s’y est engagée, fasse voter les districts du Slesvig septentrional sur la question de savoir s’ils veulent être allemands ou danois, et qu’elle se conforme ensuite au sens des suffrages librement exprimés. La députation n’a obtenu à Berlin, comme on sait, ni l’audience du roi ni celle du ministre de l’intérieur, auquel on l’avait renvoyée. De leur côté, les députés de la seconde chambre prussienne, dans la séance du 22 octobre dernier, ont accueilli avec des rires ironiques la nouvelle protestation de MM. Ahlmann et Kryger. Cette superbe indifférence n’est pourtant qu’un mépris du droit, indigne d’un grand peuple; ce n’est pas là une force, c’est une faiblesse. Et ne serait-ce pas aussi une preuve de faiblesse, après tout, cette inexécution du traité de Prague? La Prusse ne serait-elle pas, en réalité, impuissante à se contenir ou à contenir certaines passions de l’Allemagne? S’il en est ainsi, il y a là un danger pour l’Europe, en vue duquel toutefois certains dérivatifs pourraient, ce semble, être invoqués.