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aisé de se convaincre, dès le commencement, que ces conversations ne pouvaient amener aucun résultat sérieux. On ne parlait, du côté de la Prusse, que d’une simple rectification de frontière, affranchissant une faible partie des populations qui réclamaient. Bien plus, pour le peu qu’elle rendrait, la Prusse exigeait, en faveur du petit nombre de familles ou d’individus allemands qui continueraient de résider sur ces territoires, des garanties dont la surveillance lui offrirait sans cesse une occasion d’intervenir dans l’administration intérieure du Danemark. M. de Bismarck parlait, en termes dont l’obscurité pouvait paraître redoutable, de « droits individuels, locaux et communaux. » Il écrivait au ministre de Prusse à Copenhague :


« Les garanties que nous demandons sont une des modalités de l’exécution de l’article 5. Si la paix de Prague ne les prévoit pas expressément, au moins ne les exclut-elle pas. S’il y a lieu de tenir compte des vœux de la population dans les districts en question, on ne voit pas pourquoi ceux des Allemands ne seraient pas pris en considération là où ils sont en minorité. Les minorités ont droit également à notre protection... Les expériences que nous avons faites pendant les dernières années sont en contradiction trop complète avec les assurances venues de Copenhague au sujet du sort heureux qui attendrait les Allemands vivant sous la domination danoise; il nous serait impossible de nous résoudre à les abandonner sans conditions. »


Il paraîtra sans doute que M. de Bismarck use ici de singuliers raisonnemens. Quoi! lorsque l’article 5 déclare que la Prusse devra laisser au Danemark les districts dont les populations exprimeront le vœu de rester danoises, cela comporte que la Prusse pourra conserver un droit de protection sur certains groupes dans ces districts ! Quoi! si l’article 5 ne dit pas un mot d’un tel droit, c’est parce qu’il l’admet à l’avance, quant au contraire tous les efforts, pitoyablement nuls, de la diplomatie européenne depuis tantôt vingt ans n’ont d’autre objet que de séparer absolument Allemagne et Danemark! M. de Bismarck parle de restitution quand il aurait dû commencer par ne pas prendre; il rêve intervention nouvelle au moment où il met la main sur toute une partie de la monarchie danoise que les ingérences allemandes sont parvenues à détacher. Sur ce danger-là, le cabinet de Copenhague était trop bien édifié ; il en avait trop souffert pour ne pas s’en garder à tout prix désormais. Bientôt interrompus, repris inutilement de janvier à mars 1868, les pourparlers cessèrent enfin tout à fait, de sorte qu’après plus de trois ans écoulés la condition stipulée par l’article 5 n’a reçu encore aujourd’hui aucun commencement d’exécution.