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tique, et il ne cachait plus son intention d’annexer simplement les duchés à la Prusse : l’Autriche et l’Allemagne pouvaient dès lors calculer vers quel abîme elles s’étaient laissé entraîner. On se rappelle l’habileté de M. de Bismarck à isoler et à compromettre le cabinet de Vienne, et puis cette foudroyante campagne qui bouleversa l’équilibre de l’Europe. On avait beaucoup dit avant Sadowa que les traités de 1815 n’existaient presque plus, qu’il fallait se hâter d’en déchirer les derniers restes. Les politiques ennemis de ces traités furent servis à souhait par la mémorable journée du 3 juillet 1866.

Comme la question des duchés de l’Elbe avait été la véritable origine de la guerre entre la Prusse et l’Autriche, elle ne fut aussi réglée que par le traité qui termina cette guerre; on sait en quel sens. Par ce même traité de Prague qui reconnaissait la réunion de Venise au royaume d’Italie, la dissolution de l’ancienne confédération germanique, une organisation nouvelle de l’Allemagne sans la participation de l’Autriche, enfin le projet d’une union fédérale plus étroite et sous la direction de la Prusse au nord de la ligne du Mein, l’empereur François-Joseph déclarait céder au roi Guillaume tous les droits qu’il tenait lui-même de la paix de Vienne sur les duchés de l’Elbe. Voilà donc où aboutissait la campagne commencée contre les duchés trois années auparavant. La diète de Francfort et le duc d’Augustenbourg, puis l’empereur d’Autriche, après avoir servi de jouets à M. de Bismarck, étaient par lui châtiés d’avoir pris part à son injuste entreprise. On dit qu’une expression de froide ironie reste gravée sur le visage du célèbre ministre prussien : cette ironie s’explique assez par la seule contemplation de son œuvre. À cette date, il se trouvait qu’il avait déjà en partie vengé le Danemark; par lui avait été infligée mainte ironique leçon.

Achèvera-t-il maintenant sans nul obstacle, au nom du principe des nationalités, l’envahissement d’une nationalité voisine? C’est la question que laisse non résolue l’inexécution du traité de Prague. La Prusse n’est pas encore, de par les traités, maîtresse incontestée du duché de Slesvig. L’article 5 de la paix de Prague stipule que l’empereur d’Autriche cédera tous ses droits sur les duchés, mais avec cette réserve « que les populations du Slesvig septentrional seront laissées au Danemark, si, par un vote libre, elles expriment le vœu de lui rester unies. » D’où et de qui vient cette réserve, nous ne pouvons pas l’oublier. Ce n’est pas l’Autriche qui, s’apitoyant tout à coup sûr ces populations danoises livrées à la Prusse, a pu imposer, quoique vaincue, cette gênante condition à son vainqueur. On reconnaît ici l’intervention d’une cour étrangère non intéressée directement dans le débat, et qui n’y apportait alors aucune convoitise. Déjà, pendant les délibérations de la conférence de Lon-