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tions parlant la langue allemande, on estimait tout simple que la grande patrie revendiquât cette province, car c’était le temps où florissait la doctrine dite des nationalités, doctrine qui rompait avec le vieux système de l’équilibre européen, et qui, vantant les grandes agglomérations de peuples, sacrifiait les petites nations et n’adorait en réalité que la conquête et la force.

L’exécution fédérale s’accomplit en Holstein dès le commencement de 1864; les Prussiens occupèrent le Slesvig comme gage, disaient-ils, et ils envahirent ensuite le Jutland, sans doute comme gage du gage. Et déjà M. le duc d’Augustenbourg déployait ses drapeaux, exhibait ses cocardes, sa couronne et son trône, un trône emprunté, dit la légende, à une troupe de comédiens de province. L’heureuse diète germanique allait compter parmi ses féaux un petit duc, une altesse sérénissime de plus : illusions que devaient suivre des déceptions amères. Il est bien vrai que dans ces conférences de Londres, destinées à régler le sort du Danemark, M. de Bismarck se présentait comme défenseur du droit de la diète germanique et de la sainteté des traités; le candidat pour lequel, de concert avec l’Autriche et la diète, il demandait justice, c’était bien « le prince héréditaire de Slesvig-Holstein-Sonderbourg-Augustenbourg, qui pouvait faire valoir aux yeux de l’Allemagne le plus de droits à la succession dans lesdits duchés, dont la reconnaissance par la diète germanique était assurée en conséquence, et qui, de plus, réunissait les suffrages de l’immense majorité des populations. » Ainsi parle le protocole n° 6 de la conférence; mais quoi! les opinions humaines sont changeantes : M. de Bismarck découvrit tout à coup avec les juristes de la couronne un autre héritier légitime des duchés de l’Elbe, le duc d’Oldenbourg. En revanche, quand le roi de Danemark, Christian IX, par la paix de Vienne du 30 octobre 1864, céda aux grandes puissances allemandes le Slesvig et le Holstein, M. de Bismarck déclara que c’était bien le roi de Danemark en effet qui était l’héritier légitime : on avait de bons motifs pour trouver son acte de cession tout à fait valable.

Que faisait-on cependant des prétentions qu’élevaient encore, soit la diète de Francfort avec son candidat obstiné, le duc d’Augustenbourg, soit l’Autriche co-partageante? — Aux premiers on répondait par la convention de Gastein (août 1865) : l’Autriche et la Prusse régleraient à elles seules le sort définitif des duchés, et leurs premières démarches les montraient fort peu disposées à rétablir cette union du Slesvig-Holstein que la diète avait rêvée. Quelques mois plus tard, M. de Bismarck interdisait formellement au duc d’Augustenbourg l’entrée du Holstein; déjà même il se tournait décidément contre l’Autriche, dont il avait fait un pur instrument de sa poli-