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l’intervention de la grande patrie allemande qu’ils invoquaient, et à laquelle, ajoutait-on, ils voulaient se rattacher dans l’avenir. Cependant la mort de Frédéric VII, survenue à la même époque, semblait devoir rendre toute sa force au traité de Londres, conclu en prévision de cet événement; mais la Prusse, qui l’avait signé, n’en voulait plus. Elle affirma qu’un vice de forme, l’absence d’une signature représentant la diète de Francfort, entraînait la nullité de cet acte public, et ses juristes déclarèrent, à la face de l’Europe stupéfaite, que ce que les grandes puissances avaient stipulé en 1852 ne comptait maintenant pour rien, et que le duc de Glücksbourg n’était pas l’héritier légitime de toute la monarchie. Nous suivions alors pas à pas dans cette Revue les progrès de l’ambition prussienne; nous nous appliquions à réfuter un à un les raisonnemens hardis du cabinet de Barlin[1]; nous observions avec inquiétude les accès imprudens de la passion allemande. Vienne et Francfort couraient en aveugles vers leur ruine. Il était aisé de prédire qu’on allait assister, si on laissait faire, à une conquête violente, à quelque épisode comme on en avait vu à la fin du XVIIIe siècle, au démembrement d’un de ces états secondaires qu’il eût été de notre politique de soutenir et de grouper autour de nous. Il n’était pas non plus difficile de prévoir que de l’attentat commis naîtrait une Némésis, que les complices se diviseraient, que le plus fort des trois se retournerait contre les deux autres pour les dépouiller et les mutiler. On pouvait dès lors entendre, pour peu qu’on prêtât l’oreille, la profonde et sourde agitation de l’Allemagne; là des forces jeunes, encore intactes, tendaient invinciblement à l’action : heureuse l’Europe si ces forces étaient quelque temps encore contenues par le génie national et par les combinaisons de la politique extérieure, puis dirigées dans le sens de l’unité, de l’indépendance, de la prospérité allemandes! C’était le vœu de tous ceux qui, comme nous, aiment et admirent le génie germanique; mais malheur à tous, aux vainqueurs même peut-être, si ces forces devenaient les instrumens d’une passion mauvaise ! Nous disions cela, mais on nous répondait que cette question des duchés était tout allemande et point européenne; rappeler à ce propos l’obscure affaire des duchés de Clèves, de Berg et de Juliers, devenue l’occasion d’une des grandes guerres des temps modernes, évoquer même le souvenir de la Pologne, c’était pure exagération; il y avait là pour nous, disait un homme d’état» « un maximum de danger et un minimum d’intérêt. » Grave erreur, mot nullement héroïque ! S’il était vrai d’ailleurs qu’il y eût dans quelque province danoise limitrophe de l’Allemagne des groupes de popula-

  1. Voyez en particulier, dans la Revue du 15 décembre 1863, l’Agitation allemande contre le Danemark.