Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/66

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
60
REVUE DES DEUX MONDES.


l’année 420, après la mort de Maruthas, suivant toute probabilité. C’était quand les chances favorables de la propagande commençaient à se dessiner, et dans le cours de l’année 405, que l’archevêque exilé eut l’idée d’entreprendre une conquête en grand de la Perse ; il avait besoin de Maruthas, et, quels que fussent ses griefs, il se décida à nouer des rapports avec lui.

Au fond, cet évêque, dont la rusticité n’excusait pas la faiblesse de jugement, était, dans les affaires qui divisaient l’église d’Orient, un ignorant passionné. Il ne sut pas répondre aux avances d’un homme tel que Chrysostome, qui ne voulait de lui qu’une alliance de prosélytisme. Il se rendit de Martyropolis à Constantinople, à la fin de 405, en évitant Cucuse. Chrysostome en fut vivement contrarié, et pour dissiper les ombrages de son ancien adversaire il lui écrivit à Constantinople au sujet des affaires de Perse, l’engageant à une réconciliation dans l’intérêt de leur foi commune. Maruthas ne lui répondit pas. Une seconde lettre de l’archevêque n’eut pas plus de succès que la première : Maruthas avait été circonvenu. Impatienté du silence de cet homme dont il avait besoin, il s’adressa à sa douce missionnaire Olympias, la priant de l’aller trouver et de faire tout ce qu’elle pourrait pour le gagner à la concorde et le retirer « de la fosse, » expression par laquelle il désignait l’alliance avec ses ennemis. « faites qu’il me revienne, écrivait Chrysostome ; il m’est indispensable pour mes desseins sur la Perse. » Il espérait que, par autorité morale ou persuasion, la vénérable diaconesse l’entraînerait à passer par Cucuse à son retour dans la Mésopotamie, et qu’alors lui Chrysostome aurait aisément raison de cet esprit opiniâtre et étroit. Les rancunes de Maruthas furent invincibles.

On ignore ce qui serait arrivé dans l’empire des Sassanides, sous la direction d’un chef de parti tel que le banni de Cucuse, avec les moyens de propagande dont il disposait, et ces milices monacales qui seraient toutes sorties à sa voix des couvens de la frontière. A voir ce qu’elles faisaient alors en Phénicie, on peut comprendre que la conquête religieuse de la Perse, sur un plan tracé par un homme de génie, eût été fortement entamée. Il serait trop aventureux de dire que ce grand royaume eût été converti, nous ne le croyons pas : la corporation des mages était trop puissante, et les adorateurs du feu avaient mille moyens d’animer des populations féroces contre ceux qu’ils appelaient les adorateurs du bois ; mais du moins la grande ennemie de l’empire romain eût été divisée, et qui sait quelles conséquences aurait pu avoir sa conversion, même incomplète, au christianisme, lors de l’avènement de Mahomet ?

Amédée Thierry.