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qui l’entourait. Il y a un élément que l’homme ne peut jamais introduire dans ses expériences; cet élément, c’est le temps. La vie est trop courte et l’organisation de travaux scientifiques à long terme n’a pas même été tentée. On ne conteste pas les services rendus par les savans à la société, on applaudit même à leurs efforts individuels; mais on ne leur vient pas en aide. Des laboratoires, institués et entretenus par l’état, où une série d’expériences capitales et décisives serait continuée pendant un ou deux siècles, sont encore à créer. Cependant, avec l’aide du temps, une foule de problèmes insolubles dans les conditions actuelles de notre organisation scientifique seraient définitivement résolus. Nous savons déjà qu’un certain nombre d’années suffisent pour modifier profondément les races animales et végétales. L’homme a remplacé le temps qui lui manque par la sélection artificielle dont il dispose, et en présence des résultats qu’il a obtenus il devient impossible de soutenir que les êtres vivans sont coulés dans un moule invariable, et que les siècles sont impuissans à les transformer. Toutefois des preuves décisives, des argumens irrésistibles manquent encore dans l’arsenal de la science; mais l’induction, l’analogie, un vif pressentiment de la science future, nous permettent de dire d’ores et déjà : Rien n’est immuable dans la nature. La croûte terrestre se soulève et s’affaisse, les roches les plus dures s’altèrent et se dégradent, les cours d’eau augmentent ou diminuent, la terre gagne sur la mer par ses deltas, et la mer envahit la terre en démolissant ses falaises; les flores se transforment, les unes s’accroissent et s’améliorent pendant que d’autres s’appauvrissent et s’éteignent, laissant le désert après elles. Les faunes suivent le sort des flores, car sans la plante l’animal ne saurait vivre, et dans ce tableau, changeant par les seules forces de la nature, l’homme intervient à son tour et laisse partout des traces de sa puissance, souvent destructive, quelquefois salutaire. Apprécier cette puissance, et montrer comment elle s’est exercée sur les populations végétales, sera l’objet d’une étude assez détaillée pour entraîner la conviction du lecteur.


CHARLES MARTINS.