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pays natal ; d’autres ont résisté et persistent dans la flore actuelle, semblables à ces descendans des Goths et des Huns que nous distinguons encore au milieu de nos populations celtiques, grecques ou latines. Comme l’historien, le botaniste peut reconnaître les traces de ces grandes migrations. Ainsi les tourbières de la Suisse offrent une végétation identique à celle des tourbières de la Norvège et de la Laponie; elles ont en commun la même variété de bouleau blanc[1], le bouleau nain, le pin des tourbières et plusieurs autres plantes[2]. La végétation du Harz et des Sudètes en Allemagne est complètement scandinave. Une saxifrage[3], très commune dans le nord et dans le Harz, s’est avancée jusque dans les Vosges, où elle a persisté. Une graminée boréale[4] est restée dans une île de la Limmat, près de Zurich; mais la plupart de ces plantes, ne pouvant plus vivre dans la plaine, se sont réfugiées sur les hauts sommets. Celui du Faulhorn, dans le canton de Berne, qui s’élève à 2,683 mètres au-dessus de la mer, porte sur son cône terminal 132 espèces phanérogames. Sur ce nombre, 51 se retrouvent en Laponie, et 11 même au Spitzberg. Dans la vallée de Chamonix, on donne le nom de Jardin à un îlot de végétation isolé sur une moraine du glacier de Talèfre, à 2,756 mètres au-dessus de la mer. Sur 90 végétaux à fleurs qu’on y a recueillis, 30 existent également en Laponie. Un fait encore plus probant, c’est la présence dans l’Engadine, haute vallée du canton des Grisons, d’un certain nombre d’espèces inconnues dans le reste de la Suisse, mais très communes dans le nord de l’Europe[5]. N’est-ce pas en sens inverse un phénomène analogue, lorsque, sur la foi de Pline, nous reconnaissons parmi les habitans de cette vallée les descendans des peuples de l’Ombrie chassés par les Toscans[6]? Le nombre total des plantes boréales s’élève en Engadine, suivant M. Heer, à 80. Parmi elles se trouve le saule des Lapons, au feuillage blanchâtre, qui borde le joli lac de Saint-Maurice comme il entoure les innombrables lacs du plateau scandinave. En prenant la flore alpine tout entière, le même auteur constate que, sur un nombre total de 360 espèces, il y en a 158, c’est-à-dire près de la moitié, qui sont également boréales; un botaniste suédois, M. Anderson, établit de son côté que, sur les 685 espèces phanérogames

  1. Betula alba, vartetas pubescens.
  2. Comarum palustre, Lysimachia thyrsiflora, Saxifraga hirculus, Oxycoccos vulgaris, Andromeda polyfolia, Scheuchzeria palustris, Cenomyce rangiferina, etc.
  3. Saxifraga cespitosa.
  4. Hierochloa borealis.
  5. Thalictrum alpinum, Trientalis europœa, Juncus castaneus et stygius, Carex Vahlii.
  6. Voyez, sur ce sujet, la réunion de la Société helvétique à Samaden, dans la Revue du 1er mai 1864.