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LES MIGRATIONS VÉGÉTALES.

amas de tufs que nous avons cités : témoignage assuré que les arbres dont ces cours d’eau étaient jadis ombragés font encore aujourd’hui partie de nos forêts. Ce sont des aunes, des charmes, des noisetiers, des chênes, des hêtres, des ormes, des peupliers, des saules, des érables, — le micocoulier[1], le frêne, le noyer, l’aubépine, le tilleul, le figuier, le lierre, le laurier-tin[2], la vigne, l’arbre de Judée et le laurier d’Apollon. Il y a plus, la plupart de ces arbres et de ces arbustes croissent même actuellement sur les bords des petits cours d’eau qui ont remplacé le fleuve géologique; mais il en est quelques-uns qui ne s’y trouvent plus, et d’autres ont même disparu de la région naturelle dont ces travertins font partie. Ainsi trois espèces de pins[3] n’existent plus sur le littoral méditerranéen. Le premier s’est réfugié dans les Alpes, le Jura, les Carpathes, le second dans les Cévennes, le troisième dans les hautes régions des Pyrénées. Le bouleau, l’érable à feuilles de viorne[4], les hêtres, ont reculé vers le nord ou se sont élevés sur les montagnes qui leur offrent un climat plus froid, semblable à celui qui régnait en Provence à l’époque où l’Huveaume, le Lez, la rivière des Arcs et le ruisseau des Aygalades ont déposé les tufs dont nous parlons. Le hêtre, par exemple, ne se montre sur le Ventoux, près d’Avignon[5], qu’à la hauteur de 1,150 mètres, et il n’est plus forestier en plaine dans la région limitée au nord par le cours du Rhône. Quelquefois c’est plus au sud qu’il faut chercher à l’état vivant la plante dont les tufs nous ont conservé l’empreinte. Dans ceux de Meximieux (Ain), on a trouvé les feuilles d’une fougère[6] qui ne vit plus qu’aux Canaries, en Espagne et en Italie, — celles du laurier-rose, du grenadier et de l’arbre de Judée, qui, chassés par le froid, ont disparu de la flore lyonnaise. Ces intéressantes études nous montrent que le figuier, la vigne et le noyer sont des arbres indigènes et non des végétaux importés en France, comme on le croyait généralement; mais l’absence de l’olivier confirme la tradition qui attribue aux Grecs, fondateurs de Marseille, l’introduction de cet arbre précieux dans la culture de la France méditerranéenne.

Transportons-nous en Suisse, où nous avons pour nous guider les travaux de M. Heer, l’un des premiers botanistes et paléontologistes du temps présent. A l’extrémité méridionale du lac de Zurich, à Dürnten et Utznach, villages situés dans le canton de Saint--

  1. Celtis australis.
  2. Viburnum tinus.
  3. Pinus pumilio, monspeliensis et pyrenaica.
  4. Acer opulifolium.
  5. Voyez sur le Ventoux la Revue du 1er avril 1863.
  6. Woodwardia radicans.