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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.

plus fort des discordes religieuses, les sentimens de leur commune mère, il avait de bonne heure admiré et plaint en secret le grand orateur persécuté qu’il appelait « le docteur de l’univers et le patriarche à la bouche d’or. » Des ordres furent aussitôt donnés pour que le corps de l’exilé fût ramené à Constantinople et déposé dans l’église des Apôtres. Chrysostome quitta donc la chapelle de Saint-Basilisque, où il reposait depuis trente ans, et la châsse qui contenait ses restes fut transférée de ville en ville jusqu’à Chalcédoine, au milieu d’un concours immense de peuple, de prêtres et de moines qui se renouvelaient incessamment. À Chalcédoine, la trirème impériale, magnifiquement ornée, l’attendait, car l’empereur n’avait pas voulu qu’un autre navire reçût le sacré dépôt. Toute la ville était là : son empereur, son sénat, ses grands magistrats, ses grands-officiers, et la mer était couverte d’une telle multitude de navires et de barques remplis de monde et éclairés de torches, car c’était le soir, « que depuis l’embouchure du Pont-Euxin jusqu’à la Propontide, on l’eût prise pour un continent ; » c’est ainsi que s’expriment les historiens.

Le convoi, à son passage par la ville, ne reçut pas moins d’honneurs et de pompe. Une place avait été disposée pour le cercueil dans cette église des Saints-Apôtres, fondée par Constantin pour être le lieu de sépulture des empereurs chrétiens et des évêques de Constantinople. Arcadius et Eudoxie y avaient été enterrés près du chef de leur race. Au moment où le cercueil de Chrysostome fut déposé sur la pierre, Théodose se dépouilla de son manteau de pourpre pour l’en couvrir ; puis, les yeux et le front baissés vers ces restes infortunés, il leur demanda pardon pour son père et pour sa mère, priant le saint évêque d’oublier le mal qu’ils lui avaient fait par ignorance. Avant de sceller le corps dans le caveau, Proclus voulut le présenter au peuple du haut de l’estrade où siégeaient les archevêques, et le peuple, par une acclamation formidable qui ébranla les voûtes de la basilique, s’écria d’une commune voix : « Ô père, reprends ton trône ! » Tel fut le dernier triomphe de Jean Chrysostome ; puis il alla prendre sa place non loin d’Arcadius et d’Eudoxie, et persécuteurs et persécuté dormirent ensemble, sous le pardon de la mort. Sa réhabilitation, bien avancée sans doute, n’était pourtant pas encore complète : l’église le proclama bienheureux et martyr sans effusion de sang.

Qu’était devenue cependant au milieu de tant de péripéties diverses la noble et sainte femme dont l’âme était attachée à celle de Chrysostome par un lien inattaquable à la mort même ? L’histoire ni l’église n’ont point voulu les désunir et lui ont accordé une place à côté de celui qui avait été pour elle un guide, un père, presque