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étaient venues jeter le brandon de la guerre civile jusqu’aux portes du palais impérial. En cédant à des clameurs menaçantes dans l’intérêt de la paix, Atticus avait suivi l’exemple de saint Paul, qui se faisait, comme il le disait lui-même, « tout à tous » par un esprit de conciliation et d’unité. Que si l’on mettait sa conduite en regard des canons, on n’y trouverait rien de contraire aux règles écrites ni aux traditions des anciens. Les tables mystiques des églises ne contenaient pas seulement des évêques, mais des laïques et jusqu’à des femmes, et peu importait dans quelle catégorie le nom de Jean avait été placé. D’ailleurs n’avait-il pas été évêque ? Atticus avait donc pu l’inscrire pour le temps où il avait été évêque légitime et non pour les temps où il ne l’était plus, et, sous cette réserve, l’inscription ne contrevenait en rien aux jugemens rendus contre lui par deux conciles. L’immixtion de son nom aux autres noms des diptyques souillait-elle ces tables vénérables ? Nullement. Personne n’avait blâmé David d’avoir donné un superbe tombeau à Saül, ce roi rejeté de Dieu, et dans les temps actuels la présence de l’arien Eudoxe, enterré sous le même autel que les apôtres saint André, saint Luc et saint Timothée, ne diminuait en rien la vénération à laquelle ces saints avaient droit. La paix était un si grand bien, elle était si vivement recommandée par le Seigneur, que lui, Atticus, n’avait point à s’excuser d’en vouloir le rétablissement autant qu’il dépendait de lui, qu’il exhortait au contraire son collègue, le patriarche d’Alexandrie, à suivre sa conduite, pour que la chrétienté pût enfin reposer dans la concorde fraternelle et l’apaisement des partis.

Cette dernière exhortation dut mettre hors de lui, plus que tout le reste, l’homme sans frein à qui elle s’adressait. Cyrille avait été nourri par son oncle dans l’horreur du nom de Chrysostome ; il avait assisté, à côté de lui, aux débats du concile du Chêne, n’étant encore que simple prêtre, et il en avait rapporté le désir d’ajouter, quand besoin serait, une nouvelle pierre à la lapidation du martyr. Ce martyr était mort dans la tempête excitée par Théophile, mais sa mémoire vivait encore, et Cyrille pouvait y trouver matière à une vengeance, car il n’épargnait pas plus les morts que les vivans. Il répondit à l’humble justification d’Atticus par une lettre pleine d’orgueil et d’ironie, lettre que nous avons encore et que l’on peut considérer comme un modèle de noire malice et d’habileté.

« Les informations reçues de votre piété, lui disait-il en commençant, m’apprennent que vous avez inscrit le nom de Jean sur les tables mystiques de votre église, et j’ai su, par des personnes venues de Constantinople, que l’inscription n’avait pas été portée dans le catalogue des laïques, mais sur la liste des évêques. Examinant alors en moi-même si ceux qui agissent de la sorte suivent le sen-