Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/622

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
616
REVUE DES DEUX MONDES.

Alexandre, qu’une réaction joannite amena sur le trône épiscopal d’Antioche en remplacement de Porphyre, était un moine austère, attaché quelque temps comme prêtre à la basilique de Sainte-Sophie, et qui conservait au fond de son cœur admiration et reconnaissance pour le maître qu’il avait servi. Son premier soin fut de rétablir sur les diptyques de sa métropole d’Antioche un nom qui en devait être l’orgueil ; il écrivit ensuite au pape pour obtenir la communion de l’église romaine, et fit suivre sa lettre d’une députation chargée d’exposer ses sentimens en même temps que son ferme espoir de ramener par une conduite prudente des esprits si profondément divisés. C’était le premier pas fait en Orient vers la conciliation, mais ce pas était immense ; il dégageait la responsabilité morale d’Innocent en faisant cesser son isolement en face du monde chrétien presque tout entier ; il faisait présager en outre un retour prochain à l’unité de toute l’Asie orthodoxe. Innocent put se dire aussi dans sa conscience qu’il n’avait point failli par excès de zèle pour une cause lointaine où il avait cru voir la justice et le droit, puisqu’un prélat considérable jugeait comme lui sur les lieux mêmes. Dans un saint transport de joie, il félicita le patriarche d’Antioche. « Nous n’attendions pas moins, lui écrivait-il, d’une église fondée comme celle de Rome par l’apôtre Pierre, et qui avait même reçu avant la nôtre les enseignemens de ce prince de l’apostolat. »

Devenu la cheville ouvrière de la réaction religieuse en Syrie, Alexandre rappela sur leurs siéges plusieurs des évêques anciennement institués par Chrysostome et chassés par le concile du Chêne ou par Porphyre. Il invita ensuite les évêques dépendant de sa juridiction à suivre son exemple en inscrivant le nom de Jean sur leurs diptyques, et, par un retour providentiel des choses, les pouvoirs énormes créés par les décrets d’Arcadius pour étouffer la cause de Chrysostome vivant servirent à la relever après sa mort. L’on vit bientôt une foule de demandes arriver à Rome pour obtenir la communion de cette église. Innocent avait formé près de lui un conseil consultatif pour le contrôle des demandes et l’examen des demandeurs. Dans ce conseil, composé de vingt-quatre évêques d’Italie, il fit siéger, comme secrétaire probablement, l’ancien diacre de Chrysostome, Cassien, devenu prêtre de l’église de Rome depuis son émigration. Cassien, qui avait été quelque temps moine en Syrie, connaissait tout le personnel du clergé de la province, et son attachement religieux au souvenir de son ancien maître ne permettait pas de soupçonner qu’il usât de trop de tolérance pour les ennemis cachés et les traîtres. Le pape d’ailleurs avait déterminé les conditions au moyen desquelles il consentirait à octroyer des lettres de communion, et, pour plus de solennité, il avait voulu