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voisinage accourut pour le voir, et que bientôt, non-seulement la place, mais la basilique et ses dépendances furent envahies par une multitude de tout âge et de tout sexe. Parmi ces dépendances se trouvait un bâtiment lézardé dont le plancher pourri croula sous le poids de la foule ; mais le hasard voulut que personne ne fût blessé. On ne manqua pas de crier au miracle, et les flatteurs d’attribuer ce miracle aux prières du prince ; le parti des intrus proclama donc avec enthousiasme l’empereur Arcadius, fils de Théodose, un saint que Dieu visitait de sa grâce, et lui-même le crut peut-être. Après cette aventure, qui rassurait pleinement sa conscience, Arcadius reprit ses habitudes ordinaires de somnolence et d’inertie. Il s’endormit enfin pour tout de bon dans le sein de la mort le 1er mai 408, sept mois et demi après le trépas de Chrysostome.

IV.

La seconde tâche que s’imposait Innocent, aussi sainte que la première, n’était pas hérissée de moins de difficultés, et rencontra même plus d’oppositions. Beaucoup de gens, assez tièdes au fond, qu’avaient indignés les tortures infligées à Chrysostome vivant, se demandèrent, quand il fut mort, si l’inscription de son nom sur les diptyques des églises valait la continuation du schisme. Le triumvirat des patriarches se resserra, plus uni que jamais, devant les exigences d’Innocent, dont le refus de communion ne manqua pas d’être présenté aux Orientaux comme une immixtion arrogante dans le règlement disciplinaire de leurs églises. Jamais le pouvoir de ces trois hommes sur les provinces ecclésiastiques livrées à leur discrétion par les décrets d’Arcadius ne s’exerça avec plus de rigueur, et pendant les cinq années qui s’écoulèrent de la mort de Chrysostome à 412, nul des évêques soumis à leur juridiction ne prit sur lui d’accomplir cet acte de justice ; au moins l’histoire n’en mentionne aucun. Théophile, qui avait été contre l’archevêque vivant le porte-bannière de la persécution, prit le même rang contre l’archevêque mort. Ses intrigues, ses fourberies, les corruptions dont il savait faire si habilement emploi, ne se bornèrent même pas à l’Orient : il gagna de nombreux partisans en Gaule, en Italie, et jusque dans la cour de Ravenne, si l’on en croit quelques mots d’un contemporain. Quant à l’Afrique, elle s’était déclarée ouvertement pour lui dès le mois de juin 407, lorsque le concile général de Carthage avait supplié le pape Innocent de ne point rompre sa communion avec l’église d’Égypte, toujours si orthodoxe, et qu’Augustin s’était fait l’interprète de ce vœu près du siége de Rome.