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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.

supporter les bourreaux qui vous torturent et vous déchirent les flancs au milieu d’un forum ou d’un amphithéâtre, il y a encore la patience qui sait dompter le supplice de la maladie, et la maladie est ici pour vous, ma chère et vénérée dame, un bourreau domestique. »

Telle fut la dernière lettre de Chrysostome. Il terminait à la même époque le second des traités destinés à Olympias et que sans doute le messager de la diaconesse remporta avec la réponse. Ici finit l’histoire de ses idées et de ses sentimens dans l’exil ; le reste de sa vie appartient aux événemens.

Tandis qu’il se berçait encore d’une prochaine délivrance, qu’il en berçait ses amis, et qu’il avait déjà pardonné à ses ennemis en tant que leurs persécutions ne nuisaient qu’à sa personne et à son repos, ceux-ci semblaient possédés contre lui d’un redoublement de rage. Sa sérénité même les irritait : ils auraient voulu le voir expirant, accablé, demandant merci ; ils se repentaient de l’avoir trop ménagé en lui faisant donner un exil supportable. Le patriarche intrus d’Antioche, Porphyre, était surtout acharné dans sa haine. Voisin de l’Arménie, il sentait à chaque instant la puissance du prisonnier peser sur sa ville et jusque sur son église. Lui-même, avec ses vaines et ridicules menaces, devenait un objet de mépris pour les laïques et de risée pour ses clercs. Il entendait murmurer sur son passage des propos tels que ceux-ci : « Voyez-vous ce mort terrible, comme il mène les vivans ! Les vainqueurs tremblent devant le vaincu comme des enfans devant un masque de théâtre ; son nom seul fait pâlir les grands du siècle et les riches prélats de l’église… S’il y a un miracle au monde, c’est bien celui-là ! » Chacun de ces mots était pour Porphyre un coup de fouet qui lui déchirait le cœur. Ne résistant plus à sa honte, il se concertait avec son complice l’intrus de Constantinople, avec les sycophantes du palais impérial, pour arracher une dernière concession aux volontés toujours flottantes d’Arcadius. Cette concession fut qu’on éloignerait Chrysostome des lieux habités, où sa seule présence créait, disaient-ils, des foyers d’agitation et de révolte contre l’empereur et les évêques de l’empereur. — Mais quelle résidence lui assigner ? Il se trouvait toujours trop près d’une province ou d’une autre. À force de chercher, ils tombèrent d’accord sur la résidence de Pithyonte, qui n’offusquait aucun des patriarches du triumvirat, et le prince y donna son assentiment.

Pithyonte était une ville, grande autrefois, ruinée alors, située sur les bords du Pont-Euxin et au pied du Caucase, à l’extrême limite des possessions romaines. Elle n’avait autour d’elle que des barbares sauvages et cruels, les plus sauvages de tous, disent les historiens, les Héniockhes, les Lazes, les Tzanes, les Huns. Depuis que les pro-