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faisait eau de toutes parts, de sorte que les ambassadeurs purent croire qu’on voulait les faire périr en mer, et que le bruit se répandit parmi le peuple que le pilote avait été gagné à prix d’argent. À peine en effet avaient-ils parcouru quelques stades, qu’ils se trouvèrent en danger de sombrer, et furent obligés d’aller relâcher à Lampsaque, sur la côte de l’Asie-Mineure. Là, ils durent changer de navire, et probablement leur escorte les quitta : vingt jours après, ils abordèrent à Hydrunte, en Calabre, heureux d’en être quittes à si bon compte.

Si les agens de l’empereur d’Orient traitaient de cette façon les ambassadeurs de son frère, ils méditaient des traitemens encore plus durs pour les Orientaux qui avaient accompagné l’ambassade. La captivité de ces malheureux fut rendue plus impitoyable, et ce ne fut qu’après des avanies sans nombre qu’on se décidait à s’en débarrasser. Une nuit, ils furent tirés clandestinement de leurs cellules et conduits vers le port avec des précautions si mystérieuses que beaucoup de gens s’imaginèrent qu’il s’agissait de les noyer. Leur martyre eût été trop court. Embarqués sur un mauvais esquif, ils atteignirent à grand’peine la côte de l’Asie-Mineure, d’où on les distribua entre des routes différentes, pour être conduits isolément aux extrémités de l’empire et remis en prison. Cyriacus fut envoyé à Palmyre, sur la frontière de Perse ; Eulysius au château de Misphas, près des terres des Sarrasins, à trois journées au-delà de Bostra ; Palladius à Syennes, sur les confins de l’Éthiopie et des Blemmyes, et Démétrius dans l’oasis de Libye, parmi les Maziques. On ne peut rien concevoir de plus barbare que la manière dont les officiers du prétoire chargés de les diriger sur leurs résidences les traitèrent en chemin pour obéir aux instructions de la cour. Après les avoir dépouillés de leur argent, qu’ils se partagèrent entre eux, ils ne leur donnaient pour montures que des ânes ou des chevaux sans selle, et dans cet état ils leur faisaient faire double étape en un jour, de sorte que ces malheureux, si violemment secoués, ne pouvaient garder sur l’estomac aucune nourriture. Par un raffinement de cruauté vraiment infernale, ces officiers, transformés en bourreaux, se complaisaient à promener de respectables évêques à travers les villes d’Orient dans des conditions révoltantes, si l’on songe à leur caractère, et cela pour déshonorer la cause de Chrysostome. Ainsi c’étaient non pas des maisons d’ecclésiastiques qu’on leur donnait pour logement, mais des synagogues de Juifs et de Samaritains, où ils étaient obligés de passer la nuit quand on ne les conduisait pas dans des hôtelleries publiques, repaires de filles de mauvaise vie. On vit des évêques tels que ceux d’Ancyre, de Tarse, d’Antioche, de Césarée en Palestine, non-seulement leur fermer