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ment vers Constantinople, où elle parvint en trois jours ; mais pendant ces trois jours les légats et leurs compagnons souffrirent cruellement de la faim. Il était midi lorsqu’ils arrivèrent en vue de la ville impériale, et après avoir subi la visite des agens de la douane ils allèrent gagner un quai de débarquement vis-à-vis du faubourg appelé Victor ; mais la même aventure les y attendait qu’au port d’Athènes. Un ordre supérieur leur défendit de débarquer, et lorsqu’ils demandèrent « d’où venait cet ordre, qui se permettait d’arrêter des ambassadeurs, et ce que tout cela signifiait, » le centurion, pour toute réponse, fit gagner le large aux deux navires, et alla prendre terre sous les murs du château d’Athyras, à plusieurs milles de Constantinople, du côté de la Thrace.

L’ordre supérieur venait d’Arcadius même, que les ennemis de Chrysostome avaient mis hors de lui en répétant sur tous les tons, depuis qu’il était question de la demande d’un concile, que cette demande et l’ambassade qui l’apportait étaient une insulte à sa souveraineté. « Pourquoi l’auguste d’Occident venait-il se mêler des affaires d’Orient qui ne le regardaient pas, tandis que l’auguste d’Orient respectait avec scrupule les prérogatives de son frère en Occident ? Honorius, par un pareil acte, manquait à ses devoirs de collègue, et les évêques orientaux qui, pour leurs différends personnels, cherchaient à brouiller ensemble les deux frères et les deux états n’étaient que des conspirateurs et des traîtres. » Ces propos avaient monté la tête d’Arcadius, qui lui-même le premier, par la violation la plus flagrante du droit des gens, marchait à cette rupture dont on attribuait l’idée à son frère.

Le château-fort d’Athyras était en même temps une prison pour les criminels d’état. On y enferma les ambassadeurs et leurs compagnons en les séparant en deux bandes : les légats, les prêtres et les diacres romains furent confondus pêle-mêle dans une salle unique, tandis que les réfugiés orientaux, colloques isolément dans d’étroites cellules, restaient sans communications entre eux, et même sans serviteurs pour leurs besoins. Un mot de l’histoire de ces faits semble même indiquer qu’on les avait mis aux fers. Les uns et les autres se demandaient à quel sort on les réservait, quand les ambassadeurs virent entrer dans leur prison un des secrétaires du palais impérial, ce même Patricius qui avait annoncé à Chrysostome sa condamnation à l’exil. Il était accompagné de plusieurs fonctionnaires civils et officiers de l’armée. Sur la déclaration qu’ils étaient porteurs de lettres de l’empereur Honorius, Patricius demanda qu’on lui remît ces pièces. « Nous ne pouvons, répondirent-ils avec fermeté, car nous sommes des ambassadeurs, et notre devoir est de remettre les lettres de notre prince et de nos