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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


en termes couverts, à favoriser la vocation de son fils au lieu de la contrarier, et à se fier, pour la direction de ce jeune homme, au seigneur très religieux, le diacre Théodote. De la brouille entre le père et le fils, il ne dit rien. Les confidences du fils n’avaient point été néanmoins sans toucher son âme, et il conserva de lui un souvenir plein de tendresse. Il parle dans ses lettres des afflictions que ce jeune homme retrouva dans sa famille, des mauvais offices que certaines personnes lui rendirent auprès de son père, le confirmant du reste dans sa résolution, qu’il trouve très sage, d’embrasser la carrière monastique. « Si l’on essaie de vous envelopper dans quelque piége et de vous faire du mal, lui écrivait-il plus tard, soyez supérieur à tous ces traits, d’autant plus que la victime véritable n’est pas celui qui souffre le mal, mais celui qui le fait. Pour moi, ce qui vous a conquis mon admiration et ce qui m’inspire l’éloge de votre fermeté, c’est que, en butte à une si terrible tourmente, vous êtes resté supérieur aux troubles qui en sont résultés… Le genre de vie grand et sublime dont le ciel est le but semble pénible, à s’en rapporter à la nature des épreuves qui le remplissent, et pourtant le courage et l’ardeur de ceux qui le professent le rendent extrêmement aisé. Ce qu’il y a de plus extraordinaire dans cette philosophie, c’est que la mer a beau être irritée, le disciple fervent et sincère de cette sagesse n’en accomplit pas moins une navigation sereine et favorable. Au milieu des écueils et des tourmentes, il goûte le calme le plus pur ; en dépit des traits qui fondent sur lui de toutes parts, il reste invulnérable ; il est atteint sans doute, mais blessé, jamais. » Chrysostome, on peut le croire, se serait reproché de pousser ainsi le fils, en dépit du père, à la vie religieuse, s’il en eût pu résulter un plus grand déchirement dans le sein de cette famille ; mais en même temps il cherchait à les rapprocher l’un de l’autre, tout en appuyant une détermination qui lui semblait conforme au vœu de Dieu. Il réussit, du moins en apparence : le père finit par céder, et le fils se fît moine.

Sitôt que la campagne se trouva libre de bandits, et que les chemins furent tant soit peu praticables, Chrysostome rentra dans Cucuse avec sa modeste maison, « et son désert, comme il l’appelait, lui sembla un paradis à côté de celui d’Arabissus. » Il y put saluer les premiers rayonnemens du printemps, qui le faisaient renaître avec la nature et lui rendaient ses amis absens, ce qui était pour lui plus que la santé. « Le printemps est enfin revenu, disait-il à Marinianus dans l’épanchement de sa joie. Ce qui charme le commun des mortels dans cette saison bienheureuse, c’est qu’elle émaille de fleurs la face de la terre et la transforme en une riante prairie ; ce qui me la rend agréable et chère, c’est qu’elle me permet de