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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


le bonheur de recueillir ses enseignemens ; nous sommes condamnés à mourir de faim, de cette faim dont parle le prophète Amos, la faim de la céleste doctrine. » — Que répondre à cela ? Avant tout, je vous dirai, Olympias, que, si vous ne m’entendez plus de vos oreilles, vous pouvez converser avec mes livres, ce qui n’empêchera pas mes lettres, chaque fois que je trouverai un messager sûr. — Mais votre vœu de m’entendre ne peut-il pas être un jour accompli, et Dieu ne permettra-t-il pas que vous me revoyiez ? Pourquoi ce doute ? Non, non, ne doutez pas ; je sais que cela sera. Je vous rappellerai alors que cette promesse ne vous fut pas faite sans raison et comme pour vous calmer par de vaines paroles. Si le retard vous est pénible, songez qu’il ne sera pas perdu pour la récompense, pourvu qu’il ne vous arrache aucun murmure.

« Oui, c’est un rude combat, un combat qui réclame un cœur généreux et une intelligence éclairée par la vraie philosophie, que d’avoir à supporter l’éloignement d’un être qui vous est cher. Qui parle ainsi ? Celui qui sait aimer sincèrement et connaît la puissance de la charité comprend ce que je dis ; mais, pour ne pas nous égarer à la recherche de l’ami véritable, ce rare et précieux trésor, courons droit au bienheureux apôtre Paul : c’est lui qui nous dira la grandeur du combat et la force d’âme nécessaire pour le soutenir. Paul avait comme dépouillé la chair et déposé la grossière enveloppe du corps ; c’était en quelque sorte un pur esprit qui parcourait l’univers. Il semblait s’être affranchi de toutes passions, imitant l’impassibilité des puissances surnaturelles et vivant sur la terre comme s’il eût été déjà aux cieux. Les maux de ce monde, il les supportait aisément, et comme dans un corps étranger : prison et chaînes, expulsion et mauvais traitemens, menaces et supplices, lapidation et submersion, tous les genres imaginables de tourmens ; mais que ce même homme, impassible devant la souffrance, se voie séparé d’une âme qui lui est chère, il en ressent un tel trouble, une telle douleur, qu’il s’éloigne aussitôt de la ville où n’est pas l’ami qu’il y venait chercher. — « Étant venu à Troade, dans l’intérêt de l’Évangile du Christ, dit-il lui-même aux frères de Corinthe, quoique le Seigneur m’eût ouvert les portes de cette ville, je n’ai pas eu l’esprit en repos, parce que je n’avais pas trouvé là mon frère Tite. Prenant donc congé d’eux, je suis parti pour la Macédoine. »

« Qu’est-ce donc, ô Paul ? Emprisonné dans les ceps, chargé de fers, lacéré de coups et tout couvert de sang, vous prêchez, vous baptisez, vous célébrez le divin mystère, et vous ne négligez rien pour sauver un homme seul. Et lorsque vous arrivez à Troade, que vous voyez le champ préparé pour la bonne semence, que tout vous promet un travail aisé et une aire pleine de riches moissons, vous