Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/54

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
48
REVUE DES DEUX MONDES.


fantômes de la nuit, les illusions, la boue qu’ils foulent, à ne pas tenir compte d’une fumée passagère, à ne pas regarder des toiles d’araignée comme de vrais obstacles, à passer sans s’arrêter sur une herbe qui va tomber en pourriture, car les bonheurs et les malheurs d’ici-bas sont-ils autre chose que cela ?… »

Un instant Chrysostome put croire, il crut en effet que ses soins avaient réussi : les lettres d’Olympias indiquaient plus de calme et de résolution ; elle affirmait qu’elle était guérie ou en train de se guérir. Chrysostome avait donc pris d’assaut, comme il le disait avec un peu d’emphase, la citadelle de sa douleur ; il n’était pourtant qu’à la première enceinte, et il lui restait bien des travaux à faire pour être maître de la place.

II. — En dehors des causes générales qui entraînaient Olympias dans cet abîme de la tristesse, il s’en trouvait une plus particulière, toute personnelle, leur séparation. Chrysostome y revient assez souvent et avec assez d’insistance pour nous montrer qu’à ses yeux cette cause était au nombre des principales. Aux premières, il oppose les remèdes généraux, qui consistent à raffermir la foi dans la Providence divine, à fortifier l’âme contre l’atteinte des choses contingentes qui ne sont après tout que des apparences et de la fumée, à prouver que le vrai bonheur est dans le contentement de soi-même ici-bas et dans l’attente d’une récompense éternelle là-haut, qu’au fond c’est le persécuteur qu’il faut plaindre, le persécuté qu’il faut envier. À la cause particulière, il oppose un seul remède, l’espoir ou plutôt l’assurance que leur séparation va cesser. Lui aussi éprouve le même chagrin de leur commune absence, il ne le cache pas à son amie, et c’est un des moyens qu’il prend pour la consoler. Il lui conseille de méditer ses livres : là encore elle peut l’entendre et le voir ; puis il lui écrira de longues lettres, il compose pour elle, ou du moins à son intention, des traités qu’elle devra relire sans cesse et à haute voix, si ses forces le lui permettent. Ainsi il cherche à distraire du sentiment de sa souffrance, par une tendre et sainte sollicitude, la douce femme dont il a été le père spirituel, le guide, l’ami, et dont il est le dernier et frêle soutien dans leur vie d’épreuves.

Il faut voir comment, dans une de ses lettres, la seconde, il aborde, sans hésitation comme sans voile, sa doctrine des amitiés spirituelles.

« Les malheurs publics, lui dit-il, ne sont pas la seule source de vos chagrins, je ne le sais que trop, ma chère et vénérée dame ; notre séparation en est aussi une source amère. Bien que je ne sois qu’un brin d’herbe, je vous entends d’ici gémir et répéter à tout le monde : « Sa parole ne retentit plus à nos oreilles ; nous n’avons plus