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d’admirables élans et des défaillances subites ; s’il lui arrivait d’être inférieur à lui-même, s’il paraissait par momens s’abandonner, n’est-ce pas parce qu’il avait le sentiment secret de la futilité de son œuvre et de ce qu’il aurait pu faire en d’autres temps ? Son rival Albutius Silus avait soin de glisser dans ses discours des mots vulgaires pour ne pas paraître uniquement un artisan de style. Ce métier de rhéteur, qu’il faisait avec tant de gloire, lui répugnait, et il ne cachait pas ses regrets pour une forme de gouvernement qui lui aurait permis d’être un orateur politique. Un jour qu’il plaidait à Milan et qu’on voulait empêcher ses auditeurs de l’applaudir, il se tourna vers la statue de Brutus, et l’appela le soutien et le défenseur des lois et de la liberté. Si les maîtres, des hommes graves et posés, étaient souvent républicains, les élèves devaient l’être bien plus encore. Seulement il est probable que l’ardeur de ces sentimens ne se soutenait pas. Une fois entrés dans la vie réelle, ces jeunes gens oubliaient leurs opinions anciennes. Quelques-uns de ceux qui à l’école tuaient le tyran avec le plus d’énergie, et qui conseillaient résolument à Cicéron de mourir plutôt que de se déshonorer, désireux d’arriver vite, prenaient le chemin le plus court et se faisaient délateurs. De plus honnêtes devenaient prudens pour se sauver et ne refusaient pas de payer leur sécurité de quelques flatteries ; mais tous s’accommodaient en principe du régime qui existait, tous s’accordaient à reconnaître que la vaste étendue de l’empire, la variété des peuples qui le composaient, les ennemis qui se pressaient à ses frontières, exigeaient que le pouvoir fût concentré pour être plus fort et mis dans la main d’un seul homme.

Ce qui pourrait seul nous faire croire les républicains plus nombreux qu’ils ne l’étaient, c’est la sympathie avec laquelle tout le monde alors parle de la république. Ces grands souvenirs sont dans toutes les bouches, et l’on cite à tout propos les héros du temps passé. Il nous est d’abord difficile d’admettre que ces éloges ne contiennent pas quelques regrets ; nous pensons que des gens qui célébraient si volontiers Caton devaient naturellement aimer la cause pour laquelle il est mort, et qu’on n’était pas un ami de Brutus sans être un ennemi de l’empire. Il n’en est rien pourtant, et ces contradictions apparentes s’expliquent sans peine, quand on connaît l’habile politique d’Auguste. César avait renversé la république, Auguste voulut passer pour l’avoir rétablie, il prétendit en être le continuateur et l’héritier. Dès lors, il n’y avait plus d’opposition entre les héros républicains et lui ; il se mit sans façon dans leur compagnie et se servit de leur gloire pour rehausser la sienne. S’il ne dit pas ouvertement que César avait eu tort dans sa lutte contre Pompée, il le laissa dire par ses historiens et ses poètes. Tout le