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L’OPPOSITION SOUS LES CÉSARS.

tres et les cultivait ; on était ordinairement orateur par état et poète pour se délasser. Il a fleuri alors toute une poésie de salon qui ne nous est pas arrivée et qui ne méritait pas de survivre, mais qui était faite pour charmer ces sociétés élégantes. Comme au temps de l’abbé Delille, on chantait le jeu de dés ou le jeu d’échecs, la pêche et la natation, la danse et la musique, l’art de bien ordonner un repas et de recevoir honnêtement les convives. Quelque agrément qu’on trouvât à entendre lire ces poèmes, le plaisir devait pourtant s’user à la longue, et il fallait qu’on trouvât de nouveaux sujets d’entretien pour ranimer l’intérêt de la causerie ; c’est ainsi que, lorsqu’on avait épuisé la littérature et la médisance, on arrivait naturellement à la politique.

Le grand monde de Rome avait d’abord fort bien accueilli l’empire. Tous ces grands seigneurs qui avaient pris étourdiment les armes, mais qui au fond étaient, selon Caton, plus attachés à leurs viviers qu’à la république, ces jeunes gens qui, en se rendant au camp de Pompée, croyaient, comme les émigrés de 90, qu’ils ne seraient absens qu’une saison, qui disaient partout qu’ils reviendraient manger des figues de Tusculum à l’automne, et que l’orage avait tenus pendant plus de dix ans éloignés de leur pays et de leurs plaisirs, surent beaucoup de gré à celui qui leur permettait de revenir chez eux sans péril, qui leur rendait leurs palais du Coelius et du Quirinal, leurs villas de Praeneste ou de Tibur, les spectacles du théâtre ou du cirque, les promenades sous les portiques, les flâneries du soir au Champ de Mars et les fêtes brillantes de Baïes au printemps. Il y eut tout d’abord comme une explosion de reconnaissance et d’enthousiasme pour ce jeune homme qui donnait la paix à l’univers après des années si troublées. « C’est un dieu, répétait tout le monde avec Virgile, et une victime nouvelle tombera tous les mois sur son autel ». Grâce à la bonté de ce dieu qui débarrassait les citoyens de leurs affaires, on n’avait plus à songer qu’au plaisir. Comme il arrive après ces grandes crises qui mettent les sociétés en péril, on se livrait sans retenue à la joie de vivre, et l’on jouissait avec ardeur de ces biens dont on avait été si longtemps privé. On peut donc affirmer que ce monde dont Ovide était le poète favori, pour lequel il écrivit l’Art d’aimer, se livrait tout entier et sans réserves aux agrémens du présent, et qu’il ne regrettait rien du passé ; mais on a beau faire, le plaisir finit par peser, la paix ennuie, et il n’y a rien qui fatigue plus à la longue que le repos. À mesure que s’éloignait le bruit des guerres civiles, on devint moins reconnaissant pour celui qui en avait délivré l’empire. La nouvelle génération née depuis la bataille de Philippes, qui n’avait pas vu les proscriptions, trouvait moins de charmes à la tranquil-