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remplace le pain de froment. Toutes les habitudes ne sont pas empreintes de cette parcimonie, le luxe des vêtemens trouve plus de faveur que le luxe de la table ; les femmes aiment la coquetterie et l’élégance ; même dans les situations les plus modestes, il leur faut des bijoux d’or, une robe de soie, un chapeau de la plus fine paille. La toilette des femmes est souvent le plus clair de la fortune d’une famille de métayers ; à peine sortie de l’enfance, la jeune fille amasse son trousseau, qui souvent, à son mariage, se monte à près d’un millier de francs. Les mœurs sont libres sans cesser d’être pures. Une jeune fille est presque toujours liée avec un jeune homme qui la courtise en vue du mariage ; ce sont des engagemens analogues aux fiançailles, mais plus superficiels, moins solides et qui se rompent souvent ; l’on appelle damo et dama les jeunes gens qui ont ces liaisons. Rien d’ailleurs que d’honnête et de chaste dans ces relations de jeunesse ; c’est, dans un autre climat et dans une autre classe, ce que les Américains appellent flirtation. Les jeunes paysans se rendent chaque dimanche chez la dama qu’ils recherchent, et l’on ne remarque pas que ces intimités consacrées par l’usage entraînent des fautes fréquentes. Le goût du jeu est très répandu dans ces campagnes.

La vie extérieure de ces populations est étroitement liée aux cérémonies du culte. La religion et ses fêtes sont les occasions de réunion et de réjouissance ; les processions, les pèlerinages deviennent presque des parties de plaisir ; tout porte là l’empreinte d’une piété profonde, mais douce, consolante, communicative. Point de maison qui ne contienne des images de la Vierge ou des saints, point d’étable qui ne porte à l’entrée l’effigie de saint Antoine. En dehors des dimanches, l’on compte treize fêtes obligatoires, que l’on sanctifie par l’assistance aux offices et par le repos ; il y a en outre vingt-cinq demi-fêtes où l’audition de la messe est de rigueur, mais où le travail est autorisé. Les paysans, ces jours-là, se réunissent de grand matin à l’église et retournent ensuite à leurs occupations. C’est en tout, y compris les dimanches, quatre-vingt-dix jours plus ou moins fériés ; il faut y joindre les neuvaines, les processions, qui ont souvent lieu le soir, les jours ouvrables, en vertu de vieux usages et de traditions locales. Chaque jour d’ailleurs, après le repas, les familles se réunissent pour réciter le chapelet. Ainsi la religion est toujours présante à ces populations, non pas sous son aspect austère, mais sous la physionomie la plus riante.

L’introduction de la grande industrie et les modifications dans l’organisation de la culture commencent à altérer ces mœurs patriarcales. Les usines ne s’accommodent pas de ces fêtes fréquemment renouvelées, le plus souvent elles n’en tiennent aucun compte.