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plaines marécageuses. Dans cette œuvre difficile, les ingénieurs italiens firent preuve de beaucoup d’invention ; c’est à eux qu’est due principalement la découverte de la méthode du colmatage, aujourd’hui universellement recommandée et pratiquée en Europe. La première et la plus heureuse expérience en fut faite pour l’assainissement de la vallée de la Chiana. L’histoire des travaux qui ont rendu à la culture ce district, aujourd’hui si fertile, mérite à tous égards qu’on s’y arrête. La rivière de Chiana, située à l’extrémité orientale de la Toscane, parcourt tout le territoire qui s’étend des environs d’Orvieto jusqu’à Arezzo. Ses eaux offraient autrefois ce phénomène, qu’elles n’avaient pas plus de pente vers l’Arno que vers le Tibre, si bien qu’elles formaient une sorte de trait d’union entre ces deux fleuves. Le célèbre archéologue Famiano Nardini, contemporain de Galilée et connu par son savant ouvrage Roma antica, assure que du temps des Romains il y avait une navigation continue entre Rome, Arezzo et Florence. Les invasions des barbares firent abandonner la culture dans cette riche vallée, les travaux hydrauliques ne furent plus entretenus, et tout le pays devint un immense marécage connu pour son insalubrité. Pour peindre l’aspect lugubre et l’odeur nauséabonde du dixième cercle de l’enfer, Dante emprunte une image à ces contrées malsaines :

Qual dolor fora, se degli spedali
Di val di Chiana, tra luglio e ’l settembre.


Une carte qui remonte à l’époque de Cosme Ier montre que la rivière de la Chiana était alors à l’état de marécage sur une longueur de 50 kilomètres et une largeur moyenne de 5. Pour assainir ce pays, les Médicis firent faire une grande enquête ; Galilée, Torricelli et Viviani y prirent part. Après de longs et infructueux essais, on résolut d’adopter le système qui depuis a reçu le nom de colmatage, et qui consiste, à exhausser le sol par des dépôts empruntés aux rivières et à lui donner ainsi une pente facilitant l’écoulement des eaux. On arrivait à ce résultat en enfermant les rivières dans des canaux à qui l’on donnait autant que possible une pente très forte, régulière et droite ; on amenait ainsi les eaux sur les bas-fonds, où, se répandant sur de grandes surfaces, elles n’avaient plus qu’un courant presque nul. Ces bas-fonds avaient été préalablement divisés par des levées en terre de manière à former des bassins d’épuration superposas les uns aux autres ; les eaux arrivaient pleines de matière terreuse dans ces compartimens préparés pour les recevoir, et y déposaient le limon dont elles étaient chargées ; elles en sortaient par une foule de petits canaux partant de la partie supérieure de chacun de ces bassins. Ainsi on exhaussait le sol, on lui donnait une pente régulière, on dégageait les eaux