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les grandes cultures des plaines ont d’abondans troupeaux de vaches à lait. Dans le territoire de Lucques, le métayage est remplacé peu à peu par le fermage, sous la forme de prix fixe payé en nature. C’est encore là la naluralwirthschaft, pour nous servir d’une heureuse expression allemande ; mais il n’y a qu’un pas à faire pour arriver à la geldwirthschaft. Sur les collines où persiste l’ancien système, il se dénature. L’essence du métayage, c’était l’égale répartition des charges entre le propriétaire et le paysan, l’un fournissant le capital, l’autre la main-d’œuvre, chacun prenant la moitié des produits. Dans ce système, les relations des deux parties étaient très nettes et invariables. La sécurité du métayer était très grande : il n’avait jamais à supporter seul le poids d’une mauvaise récolte, il pouvait toujours recourir au compte courant du propriétaire en cas d’embarras ou de pénurie ; mais cette situation se modifie. Le partage ne s’opère plus avec la même régularité. Ici, l’on met toutes les semences à la charge du métayer, ou bien encore les fumiers ou les échalas ; on lui impose des redevances en nature ou en travail personnel ; là, le propriétaire se réserve la récolte des mûriers ; enfin le compte courant est moins ouvert aux avances. M. de Laveleye, dans son étude sur l’économie rurale de la Lombardie, a constaté le même changement, et s’en afflige ; nous y voyons, quant à nous, une modification conforme à la nature des choses, et qui n’a au fond rien d’inique. Le système du partage égal ne pouvait convenir qu’à une époque où l’agriculture était moins avancée et le capital incorporé au sol moins considérable. Toutes les terres d’ailleurs n’ont pas la même fertilité naturelle ou acquise ; toutes ne requièrent pas, pour une même quantité de produits, une même quantité de travail ; or il faut tenir compte, dans la répartition des récoltes entre le propriétaire et le métayer, de ces différences dans la fécondité du sol et dans l’intensité de la main d’œuvre. Là où le sol est très fertile, où de grands capitaux ont été dépensés à l’améliorer, le propriétaire peut et doit recevoir plus de la moitié des produits ; sur une terre moins favorisée ou jusque-là négligée, il ne peut percevoir que la moitié des récoltes ou même moins encore. Quoi qu’il en soit, si le métayage persiste, les traditions du métayage classique disparaissent. La cohésion des populations rurales tend aussi à s’affaiblir. Autrefois l’on voyait souvent plusieurs familles, sans lien de parenté, s’associer ensemble pour l’exploitation d’une métairie ; elles choisissaient deux de leurs membres, l’un pour capoccio, l’autre pour massaja ; on trouverait difficilement aujourd’hui de pareilles associations. Les fils du métayer ne restent pas toujours sur la métairie paternelle ; deux classes jusqu’alors presque inconnues, les domestiques de ferme, garzoni, les journaliers, pigionali, ont pris un grand développement. D’un