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leur accorder aussi des produits raffinés dont toutes les préparations se pussent faire en plein air et en famille, loin des grands ateliers et des grandes agglomérations. En Toscane, l’une de ces industries qui répandent le bien-être dans les campagnes, c’est la fabrication des ouvrages en paille. Déjà en 1812, Lullin de Châteauvieux y estimait à 3 millions la production des chapeaux de paille ; depuis lors elle a quintuplé. Dans ces dernières années, on en évaluait l’exportation à 8 millions, et, si l’on tient compte de la quantité qui reste en Italie, on doit au moins doubler cette somme. Or il faut considérer que 80 pour 100 environ du prix de ces objets constituent les salaires des ouvrières. Ainsi c’est 12 ou 13 millions de salaires qui sont, de ce seul chef, distribués annuellement aux jeunes filles et aux femmes des collines ou des vallons de la Toscane. D’ordinaire l’ouvrière achète elle-même pour quelques sous la matière première, et elle vend son chapeau tout fait à une maison de confection. Elle gagne facilement 1 franc 50 centimes ou 2 francs par jour. C’est en Angleterre et en Amérique que s’exportent surtout ces articles. Il s’est établi à Prato une grande maison anglaise qui donne toute l’année du travail à plusieurs milliers de paysannes. Depuis que la culture du mûrier s’est répandue en Toscane, l’élevage des vers à soie, le dévidage, le tissage et toutes les autres préparations de ce précieux textile deviennent une grande ressource pour les femmes de la campagne. Enfin il est d’autres travaux moins délicats qui appartiennent encore en Italie à l’atelier domestique. Le lin et le chanvre se filent et se tissent dans les chaumières. On y produit 135,000 quintaux métriques de lin et 500,000 quintaux métriques de chanvre. Comme il n’existe que trois filatures mécaniques pour ces deux textiles, on en peut conclure que presque tout le chanvre et le lin se filent et se tissent à la main. Chaque famille fait elle-même ses vêtemens, et l’on évalue à 28 centimes environ le gain journalier d’une paysanne occupée à ces primitifs travaux. C’est bien peu ; mais dans un ménage d’agriculteurs, et avec la sobriété des mœurs du pays, c’est encore un important supplément de ressources. Telles sont les raisons qui expliquent la densité de la population rurale dans ces contrées.

Cet ordre de choses commence à être entamé par les modifications considérables qui s’effectuent chaque jour dans les mœurs et les idées des hommes ou dans les moyens de production. Le métayage perd du terrain, et, là où il résiste, il change de caractère. Dans le fond des vallées, l’on voit surgir depuis quelques années de vastes exploitations où l’on produit en grand le blé et le bétail ; la physionomie du paysage en est altérée ; on rencontre maintenant beaucoup plus de prairies artificielles ou même naturelles ; les métairies n’élevaient guère que des bœufs de labour ou des génisses,