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Ces importans résultats, que le physiologiste considère au point de vue élevé de la théorie, le médecin les retrouve sur le terrain pratique et en face du malade. Les succès de la clinique viennent du reste confirmer les données de la science, et ils reçoivent une explication rationnelle dans les notions que nous avons d’une part sur la vie normale des élémens, de l’autre sur les altérations morbides qu’ils subissent. La transfusion du sang a été quelquefois un remède héroïque contre les hémorrhagies artérielles et les pertes sanguines qui se produisent à la suite des accouchemens. Dans ces circonstances, les élémens du tissu nerveux, des muscles et des glandes ne sont pas atteints : aussi l’abord d’un sang nouveau leur rend-il la vie ; c’est remettre l’huile dans une lampe dont les rouages sont en bon état. Lorsqu’au contraire les glandes, les muscles, les nerfs, sont altérés primitivement, et que la lésion du sang, au lieu d’être la cause de l’altération des tissus, en est la conséquence, la transfusion ne peut plus rendre les mêmes services ; elle est presque toujours impuissante, et, pour reprendre la comparaison dont nous nous sommes servi tout à l’heure, c’est remettre de l’huile dans une lampe plus ou moins désorganisée en sa structure intime.

La transfusion n’est pas seulement employée pour remplacer le sang qu’a perdu le malade ; on s’en sert aussi pour remplacer le sang vicié. On l’utilise avec succès pour combattre l’empoisonnement par l’oxyde de carbone. Ce gaz, formé par la combustion du charbon et de l’oxygène de l’air, est un poison énergique. Respiré en quantité modérée, il amène la mort par un mécanisme bien défini : l’oxyde de carbone, en présence des globules sanguins, en déplace l’oxygène et forme avec eux une combinaison stable et inerte au point de vue des propriétés vitales. Les élémens constitutifs des organes cessent bientôt ide fonctionner, et ils meurent comme à la suite d’une hémorrhagie artérielle. Dans les premières heures qui suivent l’intoxication, les globules du sang sont seuls intéressés, les autres tissus sont respectés : aussi suffira-t-il, pour rétablir la santé, de désemplir le système vasculaire et de remplacer le sang empoisonné par un sang nouveau ; la vie renaîtra. C’est ainsi que l’histoire de la transfusion démontre une fois de plus que les conquêtes dans l’art de guérir peuvent avoir pour point de départ la table du physiologiste, tout comme les progrès de l’industrie ont souvent pour origine la cornue du chimiste.


III

Dans l’ensemble des siècles, l’époque d’Harvey et la nôtre semblent appartenir à une même période. La démonstration de la vie individuelle des parties par la physiologie, les applications pratiques