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sur le raisonnement. Engagée dans cette voie, la transfusion du sang ne pouvait fournir une longue carrière. Elle succomba d’une façon bizarre ; il suffit d’un fait isolé pour en entraîner la chute. Un des malades du docteur Denis devint fou après avoir subi l’opération de la transfusion. Des adversaires s’armèrent de cet accident, et, comme Denis n’avait point pris ses grades universitaires à Paris, ils firent condamner la nouvelle doctrine. A un siècle de distance, la transfusion subira le sort de l’antimoine. Sur la requête de la faculté, après décision du parlement, le lieutenant criminel du Châtelet publie un édit qui la proscrit au nom de la loi. En réalité, quelle est la cause de la ruine du système ? C’est qu’il repose sur des notions physiologiques erronées. Le sang est toujours considéré comme l’unique principe de l’instinct, de l’intelligence et de la vie. Le médecin qui pratique la transfusion ne peut la défendre qu’avec des hypothèses, il n’en peut justifier l’emploi par des explications rationnelles. Seuls, les travaux de nos jours lui donneront une vie durable ; la transfusion renaîtra au bout de deux cents ans, mais rajeunie à jamais, car elle reposera sur les vérités les mieux établies de la physiologie.


II

La lumière qu’Harvey avait faite dans la science de la vie ne rendait point un compte parfait du mécanisme de notre organisation ; il fallut que Lavoisier vînt, à la fin du dernier siècle, inaugurer par de grandes découvertes une ère de progrès. La physiologie générale fut fondée à cette époque, et bientôt le rôle et les fonctions du sang furent peu à peu connues et précisées. De 1815 à 1830, l’histoire de la transfusion entre dans une phase nouvelle. A l’étranger, Blundell et Diffenbach la vulgarisent par de sérieux travaux ; en France, deux savans éminens, MM. Prévost et Dumas, se livrent à de nouvelles recherches dont le résultat est consigné dans les Annales de Chimie, 1821 ; mais la transfusion du sang n’a fait un pas décisif que dans ces vingt dernières années, grâce surtout aux travaux d’un physiologiste moderne, M. Brown-Sequard. Nous aurons à rapporter ici les expériences aussi hardies qu’intéressantes à l’aide desquelles il a abordé et traité avec tant de succès les problèmes les plus difficiles de la vie ; l’histoire de la physiologie n’offre guère de page plus émouvante et plus instructive. Pour la bien faire comprendre, il nous faut tout d’abord exposer la nature et les fonctions du sang.

Tel qu’il circule à l’intérieur des vaisseaux, le sang doit être considéré comme un liquide dans lequel nagent une quantité innombrable de corpuscules colorés. En raison de leur forme, ces petits corps ont été appelés globules ; ils ne peuvent être vus qu’à l’aide