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particules mobiles d’une flamme vacillante. Un disciple inconnu de ce grand maître, M. de Gurue, soutient les idées de la nouvelle école à propos de la transfusion du sang. « Le sang des animaux, dit-il, ayant beaucoup d’esprits, ne se peut mêler dans le corps d’un même animal sans se fermenter, et ne peut se fermenter sans allumer la fièvre. » Pour les uns, comme Martin de la Martinière, la transfusion du sang est une barbarie, et ceux qui la pratiquent sont « des bourreaux, et des cannibales. » Pour les autres, comme Eutyphronis, elle a le tort de bouleverser les traditions, a On ne peut, dit-il, admettre cette expérience à moins de remuer toute l’ancienne médecine. » Les partisans de la saignée, les disciples de Guy-Patin, trouvent que transfuser du sang, c’est accabler les malades, c’est leur donner ce qu’on devrait leur enlever. Les éclectiques enfin pensent que « cette opération met d’accord ceux qui l’approuvent et ceux qui ne l’approuvent pas, ceux-là parce qu’elle évacue le sang corrompu, ceux-ci parce que, mettant du nouveau sang en place de celui qu’on tire, les forces du malade ne sont pas diminuées. »

Toutes ces discussions purement théoriques auraient pu s’éterniser ; le docteur Denis vint y couper court en 1667. Il attend de l’expérience plutôt que du raisonnement la solution de la plupart des questions de physique. Zénon déclare que tout est immobile dans le monde ; Diogène ne répond pas, il marche. Denis n’admet pas d’autre règle de conduite ; il ne s’arrêtera point à réfuter les raisons de ceux qui ont écrit contre cette opération, il ne veut les combattre que par l’expérience. — Les deux premières transfusions pratiquées avec succès sur l’homme ont été consignées dans une Lettre escrite à M, de Montmor, conseiller du roi en ses conseils et premier maistre des requestes, par J. Denis, docteur en médecine, professeur de philosophie et de mathématiques. Il est utile de faire connaître en quelques mots l’homme éminent auquel ce travail a été adressé. M. de Montmor, membre et l’un des fondateurs de l’Académie française, vécut au milieu du mouvement scientifique ; Gassendi l’honora de son amitié, et quand ce savant philosophe.mourut après avoir réuni de grands travaux sur les connaissances les plus variées, M. de Montmor publia une édition complète de ses œuvres. Dans les années qui précèdent et qui suivent la fondation de l’Académie des Sciences, avant et après 1666, sa maison fut un centre où physiciens et savans vinrent traiter chaque semaine les questions à l’ordre du jour ; la société ainsi formée eut même ses règlemens destinés à faire avancer la science. Quelques années auparavant, un religieux bénédictin, dom Robert des Gabets, y avait fait un sermon sur la transfusion du sang. Le conseiller du roi s’intéressait à une découverte dont il avait pressenti la portée ; il prêta l’appui de son influence au nouvel expérimentateur.