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Fabricius, médecin à Dantzig, infuse dans les veines des sels purgatifs ; Fracassati, professeur d’anatomie à Pise, injecte de l’eau-forte, de l’esprit-de-vitriol, de l’huile de soufre, de l’huile de tartre. Ces expériences n’avancèrent pas beaucoup l’art de guérir, mais elles eurent un grand résultat, inattendu probablement de leurs auteurs : elles furent l’origine d’un procédé qui permit d’étudier la nature des toxiques ; et l’histoire de l’empoisonnement entra plus tard dans une voie nouvelle.

C’est directement et immédiatement que le procédé de la transfusion fut utile à l’anatomiste et au médecin. Un siècle auparavant, l’illustre André Vésale avait créé l’anatomie de l’homme ; après la publication des travaux d’Harvey, on étudie de préférence les artères et les veines. Dans l’amphithéâtre où l’on dissèque, il ne faut pas songer à transfuser un sang vivant ; mais, pour suivre avec plus de fruit le trajet et la distribution des vaisseaux, il est utile d’y injecter des substances colorées et solidifiables. Le Hollandais Frederice Ruysch se trouve à la tête de ce progrès. Dans la patrie de Rembrandt, l’art d’harmoniser les couleurs n’a pas seulement pour but de faire revivre sur la toile la physionomie humaine ; l’anatomiste de Leyde connaît si bien le secret des injections qu’il va, par une coloration à l’intérieur des tissus, rendre une apparence de vie à des corps inanimés. Lorsque, vers la fin de sa longue carrière, Ruysch fit imprimer à Amsterdam le livre remarquable où il signale les merveilles du musée d’anatomie de sa ville natale, comme un artiste satisfait de la perfection de son œuvre, il s’écrie à la première page : « J’ai là de petits enfans embaumés depuis vingt ans ; ils sont si frais et si roses que ce ne sont point des cadavres, on dirait qu’ils dorment. »

Les préparations anatomiques de Ruysch, dont le secret est perdu aujourd’hui, furent contemporaines de cette expérience merveilleuse, qui dérive également de la découverte d’Harvey, nous voulons parler de la transfusion du sang en nature. — Vers 1660, les croyances médicales des anciens se maintiennent fortes et vivaces, le sang est plus que jamais le principe de la vie, et comme on sait qu’il circule dans l’organisme, on propose « de faire passer le sang d’un jeune dans un vieil, d’un sain dans un malade, d’un froid dans un chaud, d’un hardy dans un timide, d’un animal apprivoisé dans un animal sauvage[1]. » Mais la parole de Galien est là tout d’abord ; la théorie des esprits animaux règne d’une manière absolue, et Descartes a donné à ce système une force nouvelle. Pour ce philosophe, il y a deux choses en nous, la vie spirituelle, qui comprend l’âme, la vie matérielle, formée par des esprits qu’il compare ingénieusement aux

  1. Journal des Savans, 1666-1667.