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rigoureux de ce qui est, et les lois, les institutions étant faites pour l’homme tel qu’il est, pour les choses telles qu’elles sont, manqueraient leur but si elles étaient conçues en vue d’un état rigoureusement rationnel. Le rationalisme que la science sociale comporte est un rationalisme relatif et non absolu. Autrement l’auteur du Contrat social ou celui du Léviathan aurait seul compris la politique : la liberté n’aurait qu’à se bien tenir.

Ces considérations suffisent pour nous persuader qu’il faut en gros accepter la solution reçue du problème de l’alliance de l’église et de l’état. Elle est supportable, quoiqu’elle puisse être améliorée. L’indépendance respective de l’une et de l’autre serait un bien en soi, et ce bien est peut-être réalisable. On peut, on doit même en souhaiter la réalisation, et la préparer soit par des discussions éclairantes, soit par des progrès sagement accomplis. En d’autres termes, la séparation absolue de la cité de Dieu et de l’empire de l’homme doit être un terme idéal vers lequel des améliorations de détail peuvent nous faire marcher ; mais si la politique qui n’a pas d’idéal est une routine, celle qui le croit immédiatement exécutable est une folie, et les hommes sont trop paresseux et trop craintifs pour ne pas préférer les routines aux folies. Élèves et héritiers de la révolution française, qui que nous soyons, ne l’oublions jamais.

Si nous défendons ici le maintien des arrangemens religieux ordinaires en pays catholique, si du moins nous conseillons la prudence et la lenteur à quiconque ambitionne de les modifier, ce n’est pas que nous méconnaissions la possibilité ni les avantages d’un tout autre ordre de choses ; nous n’avons pas caché notre opinion sur ce qu’on appelle le système américain, et sans aller aussi loin, aussi loin dans l’espace, aussi loin dans la théorie, nous apprécions les exemples assez contraires aux nôtres que donnent la plupart des pays protestans. S’il est un point où se montre d’une manière saillante la différence qu’on exagère ordinairement de la société anglaise à la société française, c’est la façon dont l’une et l’autre entendent le régime des opinions religieuses. Celle-ci voudrait l’uniformité, celle-là préfère la diversité. Bossuet n’a pas un moment douté que l’imputation de variations successives, s’il parvenait à l’établir, ne fût ipso facto la condamnation du protestantisme ; or ces variations qui naissent de la dissidence et qui la produisent sont la preuve d’une constance et d’une ardeur dans les préoccupations religieuses que suppose, mais ne prouve pas l’uniformité. Il n’est guère chez nous d’observateur, même parmi les indifférens, qui ne regarde l’unité comme un bien et les sectes comme un mal, et les indifférens surtout sont autorisés à en juger ainsi, car l’unité sans débat est un signe d’indifférence, sinon de