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de bons esprits, à des hommes de bonne intention, qu’il fallait allier, mais ne pas confondre la politique et la religion, et faire en sorte que l’une ne dénaturât pas l’autre en l’absorbant. C’est à effectuer ce partage et cette alliance entre elles deux qu’on a incessamment travaillé dans la plupart des sociétés civilisées, et le rôle joué dans l’histoire depuis le commencement du moyen âge jusqu’à nos jours par la guerre des deux puissances indique assez que le problème n’a pas été résolu. On peut douter qu’il le soit de longtemps.

Aussi cette difficulté tenue pour insurmontable a-t-elle porté beaucoup d’hommes sages à se prononcer pour une séparation absolue de l’église et de l’état. L’un et l’autre sont tellement distincts, tellement caractérisés par des attributs différens ou même contradictoires, que la séparation semble de droit. Quoi de commun entre le royaume de ce monde et le royaume qui n’est pas de ce monde, entre les choses du siècle et celles qui ne sont pas du siècle ? Les antithèses abondent entre les mots comme pour attester l’incompatibilité des choses. Eh bien oui, la distinction est vraie, et la séparation absolue est chimérique. Est-ce que les différens, les contradictoires sont toujours séparables ? Le physique et le moral aussi sont fort différens ; ils seraient même contraires, s’il faut en croire Descartes : essayez donc de les séparer. La distinction entre l’un et l’autre n’est pas, je le sais, la même que celle entre l’état et l’église, mais elle lui ressemble, et c’est assez pour montrer que le différent et le divisible sont deux. D’ailleurs, malgré leurs dissemblances, les gouvernemens et les cultes ont des points communs. Ainsi ils sont les uns et les autres des choses historiques ; ils sont le produit des événemens. L’objet de la religion est éternel, mais toute religion a pris naissance un certain jour et traversé un certain nombre de siècles. Ainsi le christianisme n’est pas une abstraction qui n’a subsisté que dans le monde des idées comme une théodicée philosophique. Il date de l’incarnation, et une fois descendu sur la terre, il a eu le sort des choses terrestres, il a eu une destinée qui l’a constitué tel qu’il est. Sous ce rapport, il est dans le même cas que les gouvernemens. Or il est fort difficile, nous en savons quelque chose, de refaire un gouvernement, de le rendre autre que les siècles ne l’ont laissé. Il serait certainement encore moins aisé de transformer à volonté dans une religion ce qui est l’ouvrage du temps, et nous aurions amené l’état à une condition telle qu’il fût apte et disposé à se séparer de l’église que tout resterait à faire pour déterminer l’église à ne rien demander à l’état, et ni l’un ni l’autre en réalité ne sont prêts à se reconnaître mutuellement une parfaite indépendance. On voudrait traiter l’église comme si elle n’était qu’une opinion, et la comprendre dans le large cercle de la liberté des