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sont forcés de reconnaître que pour cette croyance des populations entières ont été prêtes à donner leur vie ; mais il ne suit pas de là invinciblement que toutes ces choses, constitution, pouvoir, politique, diplomatie, alliances, négociations, soient les meilleures choses du monde, une fois transportées dans l’ordre spirituel. A parler en termes nets, il ne ressort pas de la lecture du livre de M. d’Haussonville une démonstration éclatante de l’excellence des concordats, c’est-à-dire de la façon la plus usitée et réputée jusqu’ici la meilleure de résoudre la question des rapports de l’église et de l’état.

En effet si l’on supposait, par impossible, un lecteur intelligent qui n’eût jamais entendu parler de la constitution de l’église catholique, et qu’on lui donnât à lire l’instructif ouvrage de M. d’Haussonville, il aurait grand’peine à deviner qu’en dernière analyse il s’agit là de religion, et lors même qu’on lui aurait appris ce que c’est que la religion chrétienne, c’est-à-dire la rédemption par un Dieu fait homme, il en chercherait vainement la trace dans cette lutte contentieuse entre deux souverainetés très inégales, inégales en force, inégales en vertus, et condamnées par la diversité de deux politiques à se combattre indéfiniment. La religion est pour l’esprit une idée métaphysique, pour le cœur un sentiment ; la foi dans l’idée engendre l’amour pour son objet, la foi et l’amour déterminent la volonté et la poussent à l’effort plus ou moins heureux de soumettre toutes les passions humaines à la recherche d’une certaine transformation morale qui est tenue pour la perfection. Quelle relation, au premier abord, y a-t-il entre cet ensemble de phénomènes purement intérieurs et spirituels, et l’existence de deux états, de deux couronnes qui se mesurent, qui négocient ou qui s’unissent ensemble et passent par toutes les alternatives auxquelles la fortune expose les gouvernemens ? tout pouvoir temporel est soumis aux conditions du temps, la religion est éternelle. Le temps est le mouvement, l’éternité l’immobilité. Si la religion met le pied dans la politique, elle entre dans la région des révolutions.

Voilà, à ce qu’il semble, la vérité ; mais la vérité n’est pas toute la réalité. La réalité, c’est que presque en tout temps, en tout pays, la religion a été une institution sociale. Aristote a dit que l’homme était un animal politique, et l’on a pu quelquefois compléter la définition en le disant un animal religieux. Il est donc politique et religieux à la fois ; le plus souvent il n’a pas su ou n’a pas voulu séparer en lui ces deux caractères. Religieux, il a fait servir la politique à la religion ; politique, il n’a pas négligé d’assujettir la religion à la politique, et comme il est, avant toutes choses, un animal raisonnable, sa raison lui a dit, elle a dit du moins à un grand nombre