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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


Arménie, elle avait changé de direction, et, passant le Taurus, elle l’avait précédé dans son lieu d’exil. La courageuse diaconesse fut reçue à Gueuse comme un tel dévoûment le méritait ; l’évêque voulut qu’elle siégeât au même titre dans son église, et le reste du clergé lui montra un égal respect et un égal empressement. Sabiniana (c’était son nom) tenait déjà un rang distingué parmi les dames illustres du christianisme en Orient. Elle était, suivant un historien ecclésiastique, tante paternelle de Chrysostome et liée d’amitié avec Olympias. On nous la peint comme une fille d’un mysticisme exalté qui avait des visions et s’entretenait, croyait-on, familièrement avec Dieu. En tout cas, sa société et ses soins furent d’un grand soulagement pour Chrysostome, jeté seul dans une contrée si déserte et si désolée.

Les illusions de l’exilé sur les hivers de Gueuse ne se prolongèrent pas longtemps, car deux mois environ après son arrivée, les neiges ayant envahi la montagne, la vallée devint inhabitable. Contre les bouffées d’un vent qui glaçait tout, la première précaution était de ne point respirer l’air du dehors. Chrysostome fut donc obligé de se clore hermétiquement dans sa chambre, où il devait entretenir jour et nuit un grand feu ; mais la précaution fut inutile, et le mal qu’il craignait d’aller gagner dehors vint le chercher au coin de son foyer. Il fut pris d’une toux violente dont les quintes étaient suivies de vomissemens et de douleurs de tête à lui fendre le crâne. Outre cela, quand il voulait élever la température de sa chambre, la fumée ne lui était guère moins insupportable que le froid ; il manqua d’en être étouffé ; elle provoquait d’ailleurs des redoublemens de toux qui empiraient son mal. Pour obvier à ce double inconvénient, il prit le parti de faire moins de feu et de passer les journées au lit : il y resta cloué ainsi tout l’hiver. Dans cette situation où il était privé de tout mouvement, le dégoût des alimens le gagna, puis l’insomnie opiniâtre. « Je suis allé jusqu’aux portes de la mort, écrivit-il plus tard à un ami, et durant deux mois je n’ai eu de vie que pour en sentir les maux. » Ces demi-confidences, il ne les faisait pas à Olympias, ou du moins il attendait que le mal fût passé et déjà loin de lui. Vers la fin de l’hiver, lorsque l’air du dehors lui était moins contraire, qu’il avait pu se lever et que sa santé paraissait meilleure, arriva chez lui un serviteur de sa chère diaconesse, nommé Antonius, porteur d’une lettre de sa maîtresse. « Je suis heureux, écrivit-il à celle-ci avec la naïveté d’un enfant, que votre serviteur soit venu lorsque ma maladie était terminée ; s’il m’avait vu dans les crises terribles que j’ai traversées, il n’eût pas manqué de vous tout dire, et vous seriez morte d’inquiétude. » En dépit de tant de souffrances et des inconvéniens inévitables de cet affreux climat, il ré-