Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/333

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

exécuter ces routes qui, après avoir sillonné d’abord le Ghensi et le Chansi, se multiplièrent plus tard et enveloppèrent enfin toute la Chine dans un immense réseau. Chaque fois qu’une province était conquise, c’était par de semblables bienfaits qu’on s’efforçait de l’attacher à l’empire. — Moraliser par des lois meilleures, enrichir par de grands ouvrages d’intérêt public les peuples innombrables successivement groupés autour du noyau originaire des cent familles, telle a été la méthode suivie par les souverains chinois ; c’est ainsi qu’ils ont cimenté cette gigantesque unité dont l’enfantement exigea tant de siècles. Le Yunan lui-même, perdu et reconquis si souvent que l’on pourrait le considérer comme une simple colonie militaire, n’a pas été oublié par le pouvoir impérial, et les travaux d’art qui y ont été prodigués empruntent à l’âpre grandeur des paysages qui les encadrent un caractère particulier. Aujourd’hui les routes se dégradent, les ponts s’écroulent, et le désert se fait autour des ruines accumulées. Je n’avais jamais imaginé pareille désolation. Tout étrangers que nous sommes, nous nous sentons envahis par la tristesse, et nous suivons en silence les sinuosités de ce chemin où la mort a passé.

Tout à coup, dans une étroite vallée, des maisons nombreuses apparaissent, s’étageant sur les deux versants des montagnes. Une longue file de chevaux et de mulets, le bruit d’une chute d’eau, de noirs tourbillons de fumée, une forte odeur de charbon de terre et ce bourdonnement particulier aux villes manufacturières nous arrachent à notre mélancolie. Nous rencontrons enfin une ville sortie de ses ruines ; en vain les musulmans l’ont détruite pour la plus grande gloire du prophète. L’énergie des populations a prévalu, la vie a triomphé de la mort, et l’activité industrielle a lutté pendant trois ans contre le désespoir et la misère. C’est qu’on ne saurait emporter en fuyant les sources de richesses cachées dans ce sol privilégié, et l’ennemi lui-même n’a pu les tarir. Celui-ci a brûlé des maisons, renversé des pagodes ; mais il n’a pas comblé les puits de sel, épuisé les gisemens de combustible, détruit les forêts de pins. Une population de travailleurs chinois exploite avec intelligence les ressources de tout genre qui abondent dans cet étroit espace. Si leurs méthodes ne sont point encore parfaites, elles sont au moins très ingénieuses. Ces puits s’enfoncent obliquement jusqu’à une profondeur de 80 mètres dans la terre, soutenue de distance en distance par des cadres en bois. Une grande pompe envoie de l’air aux ouvriers qui sont au fond du puits, et une série de petites pompes, dont chacune est manœuvrée par un homme, fait monter l’eau salée par un conduit en bambou qui la déverse dans un grand réservoir, d’où on l’amène dans les chaudières. Celles-ci, au nombre de 25 ou 30 sur une seule ligne, sont chauffées au moyen du bois et de