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symboles qu’ils vénèrent par habitude. Enfin Lao-tseu, né à la fin du VIIe siècle avant Jésus-Christ, paraît avoir joué, contrairement à Confucius, son contemporain, le rôle d’un révélateur inspiré. S’élevant au-dessus de l’horizon social, dépassant les bornes de la tradition nationale et dédaignant la philosophie, il prétendit conduire ses disciples jusque sur les sommets d’une cosmogonie à laquelle on ne saurait refuser un caractère de grandeur. Il enseigna la raison suprême préexistante au chaos, et « rattacha la chaîne des êtres à celui qu’il appelle un, puis à deux, puis à trois, qui, dit-il, ont fait toutes choses[1]. » Ce qu’il y a de plus clair dans son livre, dit Abel Rémusat, c’est qu’un être trine a formé l’univers. Est-ce là, comme quelques-uns l’affirment, une doctrine empruntée aux Juifs par Lao-tseu dans un voyage qu’il aurait fait en Occident, ou bien, comme d’autres le prétendent, un souvenir de l’ancienne divinité trine des Indiens ? Je n’ai pas ici à le rechercher. J’ai voulu seulement indiquer les trois espèces de temples dans lesquels nous étions désormais appelés à nous établir, et rendre hommage à Lao-tseu, qui nous fournissait notre premier gîte sur le territoire chinois. La doctrine de ce dernier, défigurée par ses sectateurs, est devenue absolument méconnaissable aujourd’hui. Ses temples, comme ceux de Fô, sont peuplés de statues grotesques et grimaçantes, objets de raillerie pour la classe éclairée, qui poursuit les images catholiques elles-mêmes de ses haines iconoclastes. Dans la pagode que nous occupions, il y a, je l’ai dit, un groupe formé de deux hommes qui semblent dominés par une femme élevée au-dessus d’eux ; ce groupe me fait souvenir de cette parole de Lao-tseu, que « tous les êtres reposent sur le principe féminin. » Une petite lampe, posée sur une table, brûle constamment devant la vierge, et trois cassolettes sont sans cesse alimentées de parfums. Un vieux prêtre et deux respectables prêtresses suffisent aux soins du sanctuaire. Jamais vestales ne furent plus accommodantes. Le feu sacré nous sert à allumer nos cigarettes ; les tables sont chargées de mille objets profanes, et nous y prenons nos repas. Le drapeau français planté au haut du perron, les armes fixées aux colonnes, les nattes étendues sur le sol pour nous servir de lit, enfin aucun des mille détails de notre vie quotidienne ne paraît gêner nos vénérables hôtesses, qui viennent régulièrement chaque jour saluer les idoles. Après avoir examiné l’huile de la lampe et la sciure de bois odoriférant, elles frappent trois coups sur un petit timbre et se prosternent plusieurs fois. Ce sont là, avec une pieuse lecture à certains jours du mois, tous les devoirs du culte. Aussi paraissent-elles heureuses, ces bonnes vieilles ; elles jouissent de leur vie tranquille, et ne se refusent pas à l’occasion quelques douceurs. Elles se

  1. Abel Rémusat.