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suffisans, n’étaient que le commencement de leur dépossession, que la Prusse a voulu faire après Sadowa deux espèces d’annexions, les unes directes et à ciel découvert, qui lui ont procuré quatre millions et demi de nouveaux sujets, les autres indirectes et clandestines, qui lui en procureront près de six millions. Ils se doutent que ce qu’ils ont gardé leur sera chaque jour plus âprement disputé, que les garanties qu’on leur a données ne valent pas le papier où elles furent écrites, et que, selon les fortes expressions d’un publiciste allemand, la constitution fédérale est, dans la pensée de ses auteurs, la révolution de 1866 en permanence[1].

C’est un des grands principes de M. de Bismarck qu’il faut toujours faire des traités séparés, parce que des conditions communes créent des intérêts et des griefs communs, qui tôt ou tard se coalisent. Il a conclu avec ses confédérés des conventions différentes et habilement graduées, afin que la dissemblance de leurs fortunes les empêchât de jamais s’unir. L’homme qui a perdu trois boutons tient encore à son habit ; celui qui les a tous perdus est disposé à jeter sa défroque aux orties. Nombre des états du nord ont essuyé des pertes trop graves et trop irréparables pour être fort attachés à ce qui leur reste ; ils s’abandonnent, ils se résignent aux exigences croissantes, aux décisions hautaines de leurs suzerains, — et sur quoi s’appuieraient-ils pour leur résister ? — Il en est d’autres qui n’ont pas encore renoncé atout, qui s’opposeront résolument à ces dangereuses extensions de compétence fédérale par lesquelles un gouvernement heureux, assisté d’un parti qui a besoin de consolations, achèverait de les dépouiller. Or voici le point : la confédération repose sur un contrat. Pour éviter les hasards d’une constituante démocratique, on a préféré s’arranger au préalable avec les gouvernemens, on leur a donné des signatures qui ne sont pas des promesses sous seing privé, de simples cédules, mais des traités authentiques et en forme. Ils ont consenti à certains sacrifices, en retour desquels on leur a garanti la possession de ce qu’on leur

  1. Voir dans la Gazette d’Augsbourg du 18 décembre dernier un article intitulé : Die Fortschritte zum Einheitsstaat. L’auteur commence par rappeler la déclaration que prononça le roi Guillaume en clôturant le premier Reichstag. « C’était en 1867, ajoute-t-il ; nous écrivons en 1869, et nous demandons ce que vaut encore cette parole royale. » Il énumère à ce sujet les usurpations de pouvoir déjà consommées, celles qui se préparent, les plans de campagne des nationaux-libéraux, la demi-promesse que leur a faite le ministre de la justice touchant la transformation du tribunal de commerce fédéral en cour de justice. L’article se termine par ces mots : « Le roi Guillaume ne peut se dissimuler qu’il s’agit ici d’une affaire européenne. Les états voisins ne savent que trop qu’ils ont reconnu la confédération du nord à titre d’association d’états autonomes, et que cette association n’existe plus dès que ces états ne sont plus autonomes que de nom. On sait, hors d’Allemagne comme ici, que des œufs vidés ne sont plus des œufs. »