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années en quoi un sujet du prince de Lippe peut différer d’un sujet du roi Guillaume. A la vérité il restera aux Lippois cette consolation de penser qu’ils n’ont pas été annexés, qu’ils se sont annexé la Pruss3. — « De quoi vous plaignez-vous ? disent en effet les nationaux à leurs confédérés. Nous ne vous imposons pas nos lois ; au contraire, nous voulons nous servir de vous pour nous délivrer des vieilleries de notre Landrecht, si cher à notre chambre des seigneurs. Nous profiterons en même temps de cette précieuse occasion pour vous débarrasser de tout ce qui vous fait encore différer de nous. N’écoutez pas les mauvaises langues qui nous accusent de vous prussifier ; vous ne serez pas des Prussiens, nous médiatiserons la Prusse, nous serons tous des Allemands. Un seul code, une seule bourse, un seul cœur ! » Médiatiser la Prusse ! N’était-ce pas le roi Louis XV qui, dans un moment de crise financière, reprochait à un de ses gentilshommes de ne pas faire à l’état le sacrifice de sa vaisselle ? J’ai envoyé la mienne à l’hôtel des monnaies, lui disait-il. — Sire, repartit le gentilhomme, quand Notre-Seigneur mourut, il était bien sûr qu’il ressusciterait le troisième jour.

Mais, dira-t-on, le Bundesrath n’est-il pas là pour s’opposer à ces extensions de compétence à la faveur desquelles on se propose de transformer la confédération du nord en empire unitaire et les petits états en provinces prussiennes ? Les petits gouvernemens siègent tous dans le conseil fédéral, et matériellement ils y ont la majorité. Quelque puissant que soit sur eux l’ascendant de la Prusse, si un projet leur était présenté qui mît en question leur existence, ils se coaliseraient tous contre l’ennemi commun. Au surplus, il y a un article 78 qui déclare formellement que tout projet de changement constitutionnel doit réunir les deux tiers des voix dans le Bundesrath, article dont sans doute on comptait se servir pour déjouer les projets parlementaires des libéraux, et qui pourrait bien se retourner contre ceux qui l’ont inventé.

La Prusse a pensé et paré à tout, et la plupart de ses confédérés sont désormais à sa merci et hors d’état de résister à ses fantaisies. — Sauf les cas imprévus, nous disait un diplomate, c’est le caractère de la politique prussienne de ne dévaliser personne. Elle se contente de vous enlever un à un tous les boutons de votre habit, et, quand il ne peut plus vous servir, elle vous en soulage. — Le roi Guillaume déclarait, en clôturant le premier Reichstag, que le pouvoir central avait été suffisamment nanti par la constitution, qu’il n’avait plus rien à réclamer. Cependant le pouvoir central ne s’est point contenté de la part de lion que lui faisait le pacte fédéral. Il n’a pas suffi à la Prusse d’avoir à sa nomination tous les employés du Bund et de clouer ses aigles à la porte de tous les bureaux de