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Prétendait-il simplement mettre les affaires étrangères et lui-même sur le pavois, s’assurer l’absolue liberté de ses mouvemens, se dispenser désormais de la peine de convertir ses collègues et n’être plus obligé de convaincre qu’un homme, qui d’avance est convaincu ? A Dieu ne plaise que nous fassions du chancelier de la confédération un ambitieux d’honneurs, occupé de procurer à ses prétentions leurs grandes et leurs petites commodités ! M. de Bismarck ne s’oublie point ; mais défauts et qualités, il se donne tout entier à son idée. Depuis le grand Frédéric, la Prusse n’a pas eu de serviteur plus héroïque et plus dévoué ; tout lui est instrument, mais il se considère lui-même comme l’instrument, comme l’outil prédestiné des ambitions de son pays. Qu’est-ce donc que cette informe constitution, qui vivra ce qu’elle pourra ? Un moyen, un engin, une machine à faire des annexions, une machine à fabriquer des Prussiens.

Tous les défauts qu’on peut signaler dans la constitution fédérale sont amplement rachetés par cette admirable combinaison qui partage le pouvoir législatif entre une vraie chambre et une fausse chambre, celle-ci où siègent les gouvernemens et qui est un rempart contre les innovations libérales que pourrait proposer et recommander la chambré élective, l’autre nommée par le suffrage universel, formée de Prussiens pour les quatre cinquièmes, et qui est chargée de proposer toutes les extensions de compétence, tous les acheminemens au régime unitaire, la suppression graduelle, au profit de la Prusse, de tout ce qui reste aux petits états d’indépendance et de quant à soi. M. de Bismarck a pensé à tout. L’article 9 assure à tout membre du conseil fédéral le droit de paraître dans la chambre élective et d’y soutenir les propositions de son gouvernement, alors même qu’elles auraient été repoussées par la majorité du Bundesrath. S’il arrivait que M. de Bismarck introduisît dans le conseil fédéral un projet de réforme constitutionnelle dans le sens unitaire, et que ce projet fût écarté, le chancelier en saisirait la chambre basse, il lui exposerait ses raisons, il organiserait dans cette majorité prussienne une pression parlementaire, à laquelle les petits gouvernement auraient quelque peine à résister. Ainsi le Bundesrath est bon pour empêcher certaines choses qui déplaisent au chanceler, le Reichstag n’est pas moins bon pour en proposer d’autres qui lui agréent. Dans cette campagne, il pourrait compter sur ce qu’on appelle en Allemagne « le parti. » Dès qu’il s’agit de politique étrangère et de l’agrandissement de la Prusse, il est l’homme des nationaux-libéraux, à la barbe des féodaux et de la chambre des seigneurs, qui en gémissent tout bas et quelquefois tout haut.

Les nationaux-libéraux ne sont point difficiles à vivre. Si on leur