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instructions aux commissaires qui représentent la Prusse dans le Bundesrath. Partant, il n’aurait plus barre sur ces commissaires, désormais endoctrinés par d’autres que lui. Grave amoindrissement de la chancellerie, atteinte portée au principe de l’institution[1] ! C’est ainsi que M. de Bismarck ne peut être souffrant sans que sa confédération soit malade aussi. Il a dû rêver à cela dans ses solitudes de Varzin, dans ses forêts de haute futaie. Il en a sans doute rapporté quelque expédient, quelque combinaison, quelque projet de réforme constitutionnelle. Tout semble l’annoncer, et surtout cette inquiétude sourde qui depuis quelques mois se répand de proche en proche dans les petits états confédérés. Ils savent que les changemens qui se feront ne sont pas ceux qu’ils désirent, mais plutôt ceux qu’ils redoutent. Le pigeonnier tremblant, effaré, sent vaguement planer au-dessus de lui, comme un invisible et redoutable épervier, une idée de M. de Bismarck.

Que la constitution fédérale de l’Allemagne du nord présente certains vices de conformation qui, plus sensibles d’année en année, finiront par compromettre son existence, M. de Bismarck serait le premier à le confesser ; bien naïf qui croirait l’humilier en lui représentant que son œuvre n’est pas née viable, ou que du moins elle vivra peu. Il serait désolé qu’il en fût autrement, que sa création s’éternisât. Il lui a tracé lui-même d’avance ses destins, ses transformations ; l’histoire de cette métamorphose est écrite dans sa pensée.

Non, M. de Bismarck n’a jamais aspiré à la gloire des Solon ni des Numa. Il fait le métier de législateur en diplomate, en ministre des affaires étrangères. Il disait au premier Reichstag : « Ce projet que je vous apporte, fruit pénible de mes élaborations, appelez-le constitution ou de tel autre nom qu’il vous plaira, cela ne fait rien à l’affaire. Je vous affirme seulement que, si vous l’acceptez, nous cheminerons ensemble sur une grande route qui nous conduira infailliblement au but. » Il disait encore : « On me reproche d’être avant tout ministre des affaires étrangères, de n’être que cela. Il est certain que c’est là mon plus cher intérêt, celui dont je m’inspire, et qui me dirige dans toutes mes actions ; il n’est pas moins certain que je suis prêt à me frayer un passage à travers tous les obstacles qui m’empêcheraient d’atteindre au but. » Le but ! quel but ? M. de Bismarck n’avait-il à cœur que de satisfaire ses convoitises personnelles, son goût de primer et quelquefois d’opprimer ?

  1. L’honorable M. Delbrück, président de la chancellerie fédérale, siégera désormais dans le ministère prussien avec le titre de ministre sans portefeuille. Il y sera l’homme de son chef, M. de Bismarck ; mais ce n’est encore qu’un palliatif. Reste à trouver le remède.