Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/302

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ministres sont peu de son goût ; ses collègues lui sont à charge plus encore que ses ennemis. Il a confessé lui-même qu’à persuader les autres on perdait un temps précieux, on s’imposait une dépense de forces qu’on emploierait mieux autrement. Dans le temps où l’on préparait la constitution fédérale, il avait été question de confier les trois portefeuilles fédéraux de la guerre, de la marine et des finances aux trois ministres qui sont en Prusse à la tête de ces départemens. M. de Bismarck rejeta bien loin cette combinaison. Quelques-uns de ses collègues figurent dans le Bundesrath, mais à titre de simples commissaires. Les mesures de compétence fédérale qu’ils peuvent conseiller au roi, chacun dans son ressort, doivent être contre-signées par le chancelier, et d’autre part le ministre des affaires étrangères, M. de Bismarck, ne doit compte à aucun de ses collègues prussiens des instructions qu’il peut donner à M. de Bismarck chancelier fédéral. On voit que les complications peuvent servir à quelque chose. M. de Bismarck ne s’est pas seulement proposé de médiatiser la constitution prussienne, il a médiatisé aussi à son profit le ministère prussien. Nous commençons à comprendre ce que voulait dire cet Allemand qui prétendait que la constitution du Nordbund avait été faite par un homme et pour un homme.

Mais aussi quel homme ! On en trouve peu de cette trempe et qui justifient mieux leurs prétentions par la supériorité de leurs talens, de leurs qualités et de leurs défauts, car en politique les petits défauts peuvent nuire ; les grands, mis au service d’une grande passion, sont une arme puissante : la crainte vient en aide au respect. M. de Bismarck se révéla tout entier dans ce Reichstag soi-disant constituant auquel il présenta son projet le 4 mars 1867. Il le pria de se hâter dans son examen, vu que le temps pressait. Les traités d’alliance entre les gouvernemens avaient été conclus pour un an, ils expiraient le 18 août. Il fallait qu’avant ce terme non-seulement la Reichstag eût expédié sa modeste besogne, mais que la nouvelle constitution eût été. ratifiée par les chambres des états. Le Reichstag se le tint pour dit ; le 16 avril, il avait terminé ses travaux ; six semaines lui suffirent pour découvrir que, si beaucoup de choses lui déplaisaient dans le projet, il était inutile de désirer mieux, que c’était à prendre ou à laisser.

Dans cette session de six semaines, M. de Bismarck déploya des talens d’orateur qui dépassèrent ce qu’on attendait de lui. Infatigable, parlant d’abondance, la réplique toujours prête et toujours vive, fertile en raisons captieuses, cherchant quelquefois ses mots et jamais ses idées, toujours obéissantes à ses desseins, escamotant les idées des autres ou jonglant avec leurs argumens, comme un prestidigitateur à la main preste, jamais il ne resta court, jamais on