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insouciantes et folles qui ont gaspillé l’avenir, à la Pologne aussi qui les a enveloppés dans son malheur ! Tant de fois partagé, rogné, taillé par d’impitoyables ciseaux, ce pays s’est amoindri sans déchoir. Il fait encore figure dans le monde par son industrie, par son commerce, par l’intelligence et l’activité de ses habitans, les plus Allemands peut-être de tous les Allemands, par cette dignité mêlée de douceur à laquelle on reconnaît un peuple qui a de la race, par les splendeurs et le charme de sa capitale, cette Florence de l’Allemagne. Il est des infortunes qu’il faut mettre à part et ne toucher que d’une main respectueuse. Ce qu’a souffert la maison royale de Saxe depuis Sadowa, le monde n’en saura rien par elle ; il faut compter entre ses vertus le courage et la dignité du malheur.

Derrière la Saxe albertine venaient les Saxes ernestines ou thuringiennes, petits duchés, petits territoires, mais dont la petitesse a ses grandeurs. Celle-ci tient à bien des trônes par ses alliances ; l’autre a trop bien mérité des lettres pour que les lettres l’oublient jamais ; le génie l’a consacrée, lui a mis au front une couronne d’impérissables souvenirs. Puis venait Oldenbourg, souche de rois et d’empereurs ; Anhalt et Brunswick, qui se repentent peut-être d’avoir jadis trop bien servi la Prusse et trop fait pour son élévation. Derrière eux se pressaient d’autres petits états qui n’ont point eu affaire avec la gloire. Ils n’avaient pas à trembler pour leur importance, mais ils devaient renoncer à leurs aises, à leur tranquille bonheur, car il y avait quelque bonheur dans ces parvulissimes et patriarcales principautés. On y vivait sans trop de soucis, au jour le jour. Les gouvernemens ne refusaient rien à leurs sujets, par la raison que leurs sujets ne leur demandaient rien. En 1848, quelques brandons, quelques étincelles égarées du grand foyer, avaient menacé d’incendier la bergerie, et la terre avait un peu tremblé sous ces petits trônes brodés de paillon ; mais l’alerte avait été courte, et pour éteindre l’incendie on avait emprunté les pompes et les pompiers du voisin. Après cette émotion d’un instant, chacun avait repris le cours de ses petites affaires, se garant de son mieux de tous les événemens, d’où qu’ils pussent venir, attendu que les pays les plus heureux sont ceux où il ne se passe rien. Bien différentes étaient les trois villes libres, les glorieuses cités hanséatiques, Lubeck, Hambourg et Brême, dont les sénats et les destins se trouvaient mêlés à tous ces duchés, à toutes ces principautés. Elles s’inquiétaient pour leurs traditions républicaines, pour cette longue habitude qu’elles avaient contractée de se gouverner elles-mêmes, pour ce bonheur, le plus cher de tous à qui l’a une fois connu et goûté, le sentiment d’être maître dans sa maison. Elles se demandaient avec anxiété si on n’allait pas faire d’elles des