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en 1867. En ce qui concerne la liberté industrielle, la Prusse était de quatre-vingts ans en arrière de ses voisins de l’Occident ; elle avait conservé tout un système d’entraves, de prohibitions et de monopoles, de très beaux restes de l’antique régime des maîtrises et des jurandes. On n’eût jamais obtenu du parti conservateur qu’il prêtât la main au sacrifice de ces gothiques traditions. M. de Bismarck les a fait balayer par son jeune parlement fédéral derrière le dos de la chambre des seigneurs, et sans contredit c’est un précieux service qu’il a rendu à la Prusse.

M. de Bismarck est prêt à tout comprendre, à tout supporter, à tout aimer, hormis le libéralisme. S’il est de son siècle en économie politique, s’il transige sur tel ou tel point avec la démocratie, il n’accordera jamais rien aux parlementaires. Un gouvernement éclairé, intelligent, qui exécuterait de lui-même toutes les réformes désirables sans avoir à s’imposer la fatigue de raisonner avec une assemblée, voilà son idéal. Malheureusement les assemblées existent, et on ne les peut supprimer. Dans les cas incurables, un palliatif a bien son prix. M. de Bismarck a découvert que le plus sûr moyen d’affaiblir les parlemens, c’est de les multiplier ; cela fait naître des conflits de compétence qu’un gouvernement habile peut exploiter. Lorsqu’il souhaitait à l’Allemagne un grand parlement électif, il avait fait cette observation fine, que l’on pourrait s’en servir pour tenir en échec les parlemens particuliers des états. La création du Nordbund lui a permis d’appliquer son principe. Le parlement prussien a dû se dépouiller d’une partie de ses attributions au profit du parlement fédéral ; il ne concentre plus dans ses mains le vote de toutes les lois, du budget tout entier ; son crédit, son importance, se sont amoindris. Ce qui est vrai en arithmétique n’est pas vrai en politique, deux moitiés de parlement ne valent pas un parlement. Ajoutez que la chambre prussienne avait affaire à la royauté, représentée par un ministère responsable ; la chambre fédérale, qui désormais la supplée dans une partie de ses devoirs et de ses droits, se trouve en présence d’un corps anonyme et irresponsable, d’une sorte de royauté sans roi, de ministère sans ministres ; quand on parle à ce corps, qu’on l’interroge, souvent il n’y a personne pour répondre, ce qui abrège singulièrement les conversations. Que d’utilités diverses a le Nordbund ! Outre les services que peut en attendre M. de Bismarck pour le règlement de la question allemande, il en a recueilli ce précieux avantage de médiatiser, non la Prusse, grand Dieu ! mais la constitution prussienne.

Décidément il n’a pas tort, ce publiciste qui porte aux nues la nouvelle charte, le nouvel engin politique, inventé par le fertile génie de M. de Bismarck. Fabriquer quelque chose qui ressemblât