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l’Allemagne. Dans les vues de l’inventeur, elle devait avoir un autre résultat d’égale importance : il se proposait de s’en servir pour rendre ses Prussiens plus gouvernables. En 1866, on sortait d’un long conflit constitutionnel. Des années durant, la chambre des députés avait repoussé la réforme militaire, refusé les fonds qu’on lui demandait. On l’avait laissé dire, on avait trouvé de l’argent, on avait agi, et à ses plaintes, à ses protestations, à ses entêtemens, on venait de répondre par un coup de tonnerre. La réponse avait été jugée bonne, elle avait fermé la bouche à tous les plaignans ; mais de telles répliques sont coûteuses, on n’y peut recourir tous les jours. Le conflit pouvait renaître ; cette institution a ses racines, nous l’avons vu, dans l’état social de la Prusse et dans la charte dont elle jouit par la faveur de ses princes. Ce n’est pas que cette charte, nous l’avons aussi remarqué, soit bien gênante pour le pouvoir ; mais elle donne lieu à de perpétuels litiges. Il est arrivé naguère qu’un député, ayant interpellé un ministre pour savoir de bonne part quelles mesures avait prises le gouvernement en conséquence d’un vote récent de la chambre, en reçut cette réponse : « Je n’ai jamais entendu parler de ce vote. » Étonnement, rumeurs, stupéfaction. On s’empresse de mettre sous les yeux du ministre le compte-rendu sténographié de la séance, sur quoi, un de ces députés qui ne comprennent rien à l’esprit des institutions s’écrie qu’il est hautement regrettable que le gouvernement ne sache pas même ce qui a été décidé par la chambre. Un autre, plus raisonnable, propose d’ajourner la discussion jusqu’à ce que le ministère ait eu le temps de s’informer. Quelques mois auparavant, le ministre de la justice s’était fondé sur l’article 62 de la constitution, qui porte que le pouvoir législatif s’exerce collectivement par le roi et les deux chambres, pour conclure que lorsque les deux chambres ne pouvaient s’entendre, le gouvernement était libre de faire ce qui lui plaisait. L’honorable M. Simson lui répliqua que, si la charte prussienne soumet la confection des lois à l’accord du roi et des deux chambres, elle n’ajoute pas : ou à la conviction du roi que les deux chambres se trompent. — L’étrange théorie qui vient de nous être exposée, poursuivit-il, on l’appliquera demain peut-être à toutes les questions de finance ou de budget ; c’est un abîme où ira s’engloutir toute la constitution.

De telles discussions sont désagréables. Bien qu’on n’y attache qu’une médiocre importance, le pays les entend et fait ses réflexions. Pour un gouvernement qui tient à faire vite, qui a le goût des mesures expéditives, ce qu’on appelle en Prusse « l’accord des trois facteurs législatifs » est un grand et fâcheux empêchement. Comment remédier à ce mal ? Changer la constitution ? Toute