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soit fort comique, ce n’est point, à vrai dire, de la musique bouffe ; M. Auber, que je sache, n’en a jamais fait. Qu’on se figure plutôt quelque chose de malin, de spirituel, de réussi comme une épigramme de Voltaire. La thèse dit : « La femme doit obéissance à son mari, » et le musicien, selon sa nature, s’amuse à développer l’antithèse avec une perfection de touche qui fait de ce petit tableau de genre une merveille. Du reste, ce trio est on ne peut mieux exécuté par M. Capoul, M. Sainte-Foy et Mlle Girard, excellente dans son rôle de paysanne dégourdie ; Mlle Girard a le jeu franc, la parole leste et la tête près du bonnet. Je lui reproche seulement d’être parfois, quand elle chante, ce que Molière appelle « un peu bien forte en gueule ; » dans ses couplets, qui sont charmans, elle a l’air d’imiter Thérésa. Je ne dis point de mal de cette note, qui, dans la Chatte blanche, peut avoir son prix, mais nous ne sommes point à la Gaîté, et pour chanter de l’Auber c’est beaucoup trop de gaillardise. Ne fermons pas le paragraphe des éloges sans mentionner la scène du colin-maillard au second acte. Tout ce gentil monde féminin glisse, court, s’esquive, s’attrape, les mains frappent dans les mains, les yeux brillent, les cœurs battent haletans, et la musique, toujours étincelante, pittoresque, suit le jeu, rend l’espièglerie dans ses moindres détails. Frivolité, ton nom est Auber, je l’accorde ; mais n’est point qui veut frivole de la sorte, et j’en connais qui passent pour sérieux et qui voudraient bien avoir écrit cette valse syncopée. Quelle science de la mise en scène dans ce rapide intermède, quel art discret et fin du dialogue ! Comme dans ce va-et-vient musical chacun lance, son mot à la volée ! Rien de trop, c’est le fini du genre : maxime miranda in minimis ! C’est en musique les joueurs de boule de Meissonier : Jeux de vieillard, s’écrient les railleurs ; c’est jeux de maître qu’il faudrait dire.

Gardons-nous d’oublier la divine Henriette de La Roche-Villiers, le fantasque objet de ce Rêve d’amour. Voltaire a écrit quelque part dans sa correspondance que « toutes les princesses malencontreuses qui furent jadis retenues dans des châteaux enchantés par des nécromans eurent, toujours beaucoup de bienveillance pour les pauvres chevaliers errans. » Le malheur veut que cette fois, l’Endymion soit un manant ; la Diane au bois que ses lèvres ont effleurée commence par se fâcher tout rouge. Peu à peu cependant elle s’humanise quand elle s’aperçoit que ce berger a de la tournure. « Le tambour bat, le clairon sonne. » Ce duo-là, que tout le monde connaît de longue date, ne vaut ni plus ni moins que tant d’autres sur la même ritournelle, et qu’on applaudit pour la fanfare et le plumet ; bref, dans l’entr’acte, le rustre Marcel se couvre de gloire, et quand vous le retrouvez, c’est avec l’épaulette d’officier aux gardes françaises. A coup sûr, l’adorable marquise ne demanderait pas mieux que de sa montrer bonne au pauvre monde ; mais, peste ! à ce moment M. d’Ennery se souvient qu’il doit avoir mis ce dénoûment quelque part. Des princesses épousant des bergers, on ne voit que cela dans la vie