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constitution du 21 décembre devait être adorée sans qu’on prononçât son nom. C’est qu’en effet cette charte de 1867 est loin de plaire à la grande majorité des pays cisleithans, et qu’en célébrant l’anniversaire on aurait provoqué infailliblement des contre-manifestations formidables dans toutes les provinces slaves de l’empire. Le silence des peuples fat cette fois la leçon d’une constitution. Le Reichsrath, lui aussi, aima mieux se recueillir en prenant des vacances de Noël, et à l’heure qu’il est la « douce anarchie » reçoit bénignement les félicitations du nouvel an. Les ministres continuent à se renvoyer réciproquement leurs portefeuilles ; les « travailleurs » continuent d’organiser leur paresse, et les plaisantins de Vienne, confondant à dessein les genres, ont fini par appeler du nom de grève ministérielle la récente crise de leur régime parlementaire.

La crise, à vrai dire, n’est point tout à fait récente, elle date de loin, elle a son origine dans la manière même dont fut établi le régime parlementaire en 1867. Pour l’expliquer, il faut remonter jusqu’à cette catastrophe de Sadowa qui a définitivement englouti l’ancien ordre de choses créé par MM. de Bach et de Schmerling et donné naissance au nouvel empire austro-hongrois. Appelé à l’œuvre difficile de réorganiser la monarchie après-une calamité effroyable, — « placé devant une caisse vide et sommé de faire des affaires, — comme dit alors un fin diplomate, — M. de Beust reconnut très judicieusement la nécessité d’un accord complet avec la Hongrie, et dirigea aussitôt vers ce but tous ses efforts. Le royaume de saint Etienne fut réintégré dans son droit historique et les fils d’Arpad recueillirent, aux applaudissemens du monde entier, les fruits de leur conduite ferme, légale et constitutionnelle. Ce qu’il faut encore plus admirer, c’est que les Magyars ne se sont pas laissé aveugler par leur triomphe à peine espéré ; ils ont profité des leçons de la fatale année 1858, et, devenus libres, ils ont su être justes. Le royaume de Hongrie est à son tour une Autriche bigarrée et polyglotte : il renferme dans son sein des races diverses et des provinces ayant le vif sentiment de leur ancienne autonomie. Le parti Deák tint compte de cette situation, il accorda loyalement l’exercice de ses antiques droits au royaume de Croatie et à la diète d’Agram, ne réservant pour la diète de Pesth que les affaires véritablement communes ; enfin par une « loi des nationalités » largement conçue et sincèrement pratiquée, il donna toute satisfaction, en matière de culte, d’instruction et de justice, aux habitans des pays d’au-delà de la Leisha qui ne parlent pas la langue magyare. Malgré certains tiraillemens qui persistent et persisteront longtemps encore, le parlement de Pesth peut à bon droit se dire la fidèle représentation de tous les peuples réunis sous la couronne de saint Etienne.

Il n’en est pas de même, par malheur, du Reichsrath de Vienne. Dans les pays situés de ce côté de la Leitha, le génie oppresseur des