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dispose à son œuvre parlementaire qui ne commencera que dans un mois, et d’ici là partis et gouvernement se préparent à la lutte. Pour les tories, qui sont aujourd’hui l’opposition en face du ministère libéral de M. Gladstone, il y a une première question laissée en suspens par la mort de lord Derby. Après la disparition du vaillant et éloquent champion du torysme, qui sera le chef du parti conservateur dans la chambre des pairs ? qui prendra parmi les lords ce commandement que M. Disraeli exerce aux communes ? il faut que le leader dans la chambre haute ait un grand nom, une grande fortune, une aptitude politique suffisante, de l’éloquence, et de plus il faut qu’il puisse s’entendre avec le leader du parti dans les communes. On a parlé de lord Salisbury, qui réunit plusieurs des conditions nécessaires ; mais lord Saldsbury est un grand seigneur peu pliant qui s’accommoderait fort mal avec M. Disraeli. L’héritage de la direction du parti conservateur dans la chambre des pairs semblerait devoir passer naturellement à lord Stanley, devenu aujourd’hui comte de Derby, et qui a été chef du foreign-office dans le dernier cabinet de M. Disraeli ; lord Stanley, il est vrai, est accusé par les conservateurs intraitables de tendances libérales, et de plus, avec des qualités très sérieuses, très solides, il n’a pas l’éclatante éloquence de son père. Somme toute, c’est lui probablement qui restera le chef des tories dans la chambre des pairs, et qui, de concert avec M. Disraeli, conduira la campagne de l’opposition conservatrice contre le ministère Gladstone. Ce ministère va avoir une rude besogne dans la session prochaine, qui sera particulièrement consacrée à l’Irlande, et qu’on appelle déjà la « session irlandaise. » C’est là en effet la question toujours difficile pour l’Angleterre. On a eu beau faire, on a eu beau accomplir le grand acte de l’abolition de l’église d’état, l’Irlande n’est rien moins que pacifiée ; le fenianisme s’agite plus que jamais, les meurtres se succèdent jusque dans les rues de Dublin. Le tout est de savoir si les mesures que prépare aujourd’hui le gouvernement, et qui vont être présentées au parlement pour la réforme du régime agraire, auront une efficacité plus décisive. On en peut douter, à voir toutes ces irritations irlandaises qui se sont manifestées, il y a peu de jours, par l’élection comme membre de la chambre des communes du condamné O’Donoghan et par un récent programme de l’association des fenians d’Amérique. Il n’est pas moins vrai que, dans une année de ministère, M. Gladstone aura donné à l’Irlande plus que celle-ci n’a reçu depuis longtemps, et si toutes les passions ne sont pas désarmées, il n’est point impossible que la masse de la population ne s’apaise par degrés, sous l’influence d’une politique si libéralement réparatrice. Pour l’Irlande, c’est le progrès possible dégagé des revendications impossibles en face de la toute-puissante Angleterre.

Où en sont aujourd’hui d’un autre côté l’Italie et l’Espagne ? L’Italie est sortie heureusement de la crise ministérielle où elle glissait dès l’ou-