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tation, il fit part à celui qui le consultait du résultat de ses réflexions. Il avait découvert que lui-même, tout saint qu’il était, avait beaucoup à se réformer, que le marquis de son côté n’avait qu’à se réformer également, que ceux qui l’entouraient suivraient sans doute son exemple et que probablement alors les choses iraient mieux, — ce qui revient à dire qu’il faut commencer par se réformer soi-même, avant de vouloir réformer l’univers, selon la prétention si commune de nos jours. À qui pouvait bien songer Pie IX en parlant ainsi à nos prêtres de ceux qui se plaignent toujours et de tout ? Ce n’en était pas moins une leçon piquante et imprévue de self-government tombant de la bouche d’un pape.

Malheureusement il n’est point avéré que le concile marche dans ce sens, ni même qu’il ait été convoqué précisément pour démontrer la supériorité du self-government. L’autorité pontificale au contraire semble procéder de la façon la plus sommaire et la plus absolue dans l’organisation des travaux de l’assemblée. Il est bien évident que toutes les précautions sont prises pour arrêter au passage les controverses épineuses, les propositions importunes. Par une anomalie de plus, au moment même où les prélats viennent de se réunir, le saint-siège, de son autorité propre, « dans la plénitude de son pouvoir apostolique, » publie ou réédite des constitutions qui ne sont rien moins que l’excommunication pure et simple des trois quarts du monde catholique. En effet prenons pour exemple les juridictions ecclésiastiques : elles sont abolies à peu près partout, personne à coup sûr ne songe à les rétablir ; voilà donc tout le monde atteint par l’excommunication prononcée de nouveau contre ceux qui les ont supprimées. Si le concile n’a rien à voir dans tout cela, s’il n’est pas chargé de réviser les rapports de l’église et de la société moderne, à quoi bon le réunir ? — Il n’est qu’un danger de plus. La question est aujourd’hui, à Rome, non certes entre la liberté et l’absolutisme religieux, mais entre les esprits modérés qui refusent sagement de souscrire à une rupture ouverte avec la société moderne, et ceux qui croient fortifier l’église en l’affermissant dans ses traditions exclusives, en l’anéantissant pour ainsi dire dans l’infaillibilité personnelle du pape érigée en dogme. Cette question décisive, elle n’a point été abordée jusqu’ici ; il faut bien y arriver cependant. Tout semble se préparer pour le combat, et quand même les deux cents évêques, qui sont arrivés à Rome avec un certain esprit de modération et de résistance, succomberaient ou céderaient à la pression exercée sur eux, quelle autorité aurait un dogme désavoué d’avance par une minorité d’évêques appartenant aux pays le plus éclairés, combattu par cette force intime qui est dans le mouvement irrésistible d’un siècle ? Ce serait peut-être le commencement d’une révolution dans le catholicisme, et les conséquences de cette révolution ne seraient pas moins graves dans les rapports de l’église avec la société civile telle qu’elle est organisée dans la plupart des états européens. Toutes les conditions anciennes se trouveraient changées subitement.