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légendes connaissent depuis plus de cent ans, grâce à Voltaire, la source de celle-ci ; c’est une fable danoise. Il est presque inutile de rappeler quel était Tokko, soldat du roi Harold, qui avait beaucoup de rivaux, comment un jour à table il se vanta de pouvoir toucher d’un premier coup de flèche une pomme placée à grande distance sur un bâton, comment les rivaux du soldat rapportèrent cette parole au roi, qui ordonna méchamment qu’une pomme fût mise non sur un bâton, mais sur la tête du propre fils de Tokko. « Si le père ne la touchait pas du premier coup, il devait perdre la vie. Que fit Tokko, forcé d’obéir à cet ordre inique ? Ayant tiré de son carquois trois flèches, il frappa avec la première la pomme posée sur la tête de l’enfant. Alors le roi lui ayant demandé pourquoi il avait tiré trois flèches, puisqu’il ne devait en décocher qu’une : — C’était, répondit-il, pour te tuer toi-même, toi qui donnes aux autres des ordres odieux, s’il m’était arrivé de manquer mon premier coup. » Cette légende, — et beaucoup de pays en ont de pareilles, les hypercritiques en font même un mythe arien, — avait été consignée dans l’Histoire danoise de Saxo Grammaticus, qui vivait à la fin du XIIe siècle ; un abrégé de cette histoire, écrit vers 1430 par un moine allemand nommé Gheismer, avait pu parvenir à l’auteur du Livre blanc. Quoi qu’il en soit, c’est dans cette chronique que l’on trouve la première mention du chapeau hissé par Gessler au bout d’une perche, à Uri, sous les tilleuls. « Or il y avait un brave homme qui s’appelait le Tall, lequel s’était engagé aussi par serment avec Stoupacher et ses compagnons, et il passait souvent de ci et de là devant la perche, et il ne voulait pas la saluer. » Gessler fit venir cet impertinent qui se souvenait de Brutus et qui jouait l’idiot pour se justifier, « car, si j’avais de l’esprit, dit-il, je m’appellerais autrement et non pas le Tall (le simple, le niais). » Suit l’histoire de la pomme et des deux flèches : il n’y en a plus que deux. Le bailli furieux fait embarquer le Tall sur le lac pour le conduire « dans un endroit où il ne verra plus le soleil ni la lune. » Le vent se lève devant l’Achsen, l’équipage effrayé fait mettre le Tall au gouvernail, et l’archer repousse du pied la barque dans la tempête. Aussitôt après, dans une course effrénée, il franchit les montagnes et descend à Kussnacht, où, embusqué derrière un buisson, dans le chemin creux, son arbalète à la main, il attend Gessler au passage et le tue ; puis, en courant, il retourne à Uri par les montagnes. Pendant ce temps, Stoupacher et ses compagnons, réunis non plus au Rüdli, mais au Trenchi, et croissant en nombre, se mirent à brûler les châteaux. « Ils commencèrent par Uri, où le seigneur faisait construire au-dessous de Steg, sur une colline, une tour qu’il voulait nommer Twing-Uri, après quoi ils prirent Swandow et quelques châteaux à Schwyz et à Stanz, entre autres celui de