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publicité suffisante pour donner la dernière consécration aux œuvres de la justice. Que Veut-on en conviant la foule à un tel spectacle ? La terrifier, lui prouver que la loi judaïque du talion existe encore au XIXe siècle chez un peuple pratiquant une religion dont le fondateur a dit à son apôtre : Remets ton glaive au fourreau, — lui causer une impression profonde et durable ? Mais elle sait tout cela, cette foule ; que lui importe ? .. Il faut bien dire le mot, si pénible qu’il soit, elle vient là pour s’amuser ; on y rit, on y boit, on y chante ; pour un peu, on y danserait, on y a dansé… Un lendemain de la mi-carême, plus de deux cents masques ont roulé jusqu’à la place de la barrière Saint-Jacques, et ont continué un bal de mascarades devant l’échafaud où deux assassins allaient monter. Est-ce l’exemple qu’on poursuit et qu’on veut donner ? L’exemple, il est nul, pour ne pas dire plus. Le 5 août de cette année, Momble, meurtrier d’une femme et d’un enfant, subit sa peine en public, au grand jour ; tous les journaux racontent ses derniers momens : le 25 du même mois, Troppmann commence la série de ses forfaits longuement médités.

Dans l’espace restreint de la rue Gerbier et de la rue de la Vacquerie, la foule ne peut rien voir ; elle n’atteint pas son but, et la justice manque le sien. Haussés sur la pointe des pieds, gênés par les shakos des soldats, par les tricornes des sergens de ville, par les chevaux de la garde de Paris, par les arbres de la place, cinquante, soixante curieux au plus, peuvent se rendre à peu près compte de ce qui se passe ; avec le système actuel, on n’arrive à produire sur cette masse illettrée et corrompue qu’une démoralisation qui est coupable, car elle peut être évitée. On craint, je le sais, que le peuple, ne voyant plus la guillotine dressée publiquement, ne dise qu’on n’a pas donné suite aux arrêts de la justice. Qu’importent de telles rumeurs, et doit-on s’y arrêter ? Ce même peuple ne sait-il pas que les condamnés aux galères sont envoyés à la Nouvelle-Calédonie ? Qu’est-ce qui lui prouve que cette déportation a lieu en effet ? Rien, et nul, pour s’en assurer, n’a demandé, j’imagine, à feuilleter les registres des ministères de la marine et de la justice. Un seul fait est à considérer : la loi doit être exécutée ; elle le sera aussi bien dans un préau de prison que sur une place de la ville, et la justice ne périclitera pas, si l’article 26 du code pénal est abrogé. C’est là un progrès que notre état de civilisation réclame énergiquement en attendant le progrès suprême, dont il serait peut-être inopportun de parler aujourd’hui que le pays tout entier vient d’être terrifié par les monstrueux crimes d’un homme qui n’a pas vingt ans encore.


MAXIME DU CAMP.