Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/210

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

allait d’un pas ferme et résolu, les épaules resserrées et penchées par la camisole de force, qui le tirait en avant. Dans le corridor des dortoirs, les pas résonnant avec un bruit mat et régulier éveillaient sans doute d’étranges méditations dans l’âme des détenus ; on échangeait quelques paroles à voix basse : « Il va bien ! — Je ne l’aurais pas cru. — Il ne planchera pas ! » Quelqu’un regarda sa montre et dit : « Nous sommes en avance. » Au moment de descendre les degrés qui aboutissent dans l’avant-greffe, l’homme se retourna, chercha des yeux le directeur de la prison, et, l’ayant aperçu, lui dit : « Il vous reste quarante-quatre francs à moi, je vous prie de les envoyer à mon frère. — Je les enverrai, répondit le directeur. — J’y peux compter, n’est-ce pas ? — Vous pouvez y compter ! — Mon fils, pensez à Dieu, » dit le prêtre. On entra dans la petite pièce oblongue qui forme l’avant-greffe. Elle était vide ; au milieu, il y avait un tabouret. De lui-même, avec l’abnégation passive et inconsciente d’un mouton qu’on mène à l’abattoir, l’homme s’assit.

La haute stature de l’exécuteur des arrêts de la justice apparut sur le seuil. Il entra, le chapeau à la main, suivi de ses aides, dont l’un portait un tout petit sac en moquette. L’exécuteur regarda l’homme attentivement, le toisa, en fit le tour avec les yeux, et eut un imperceptible signe de tête qui disait : J’en réponds ! On commença la toilette. Les aides étaient debout derrière le condamné comme pour surveiller ses mouvemens. L’un d’eux, un vieux qui avait des gestes d’une lenteur insupportable, mit le petit sac sur une table, fouilla dans sa poche, y prit une clé, ouvrit le sac, en tira des courroies en buffle blanchi armées de boucles et une paire de ciseaux entourée d’un papier qu’il développa avec précaution. Il s’agenouilla. Son dos courbé, les rides de ses joues pendantes, ses cheveux rares et d’un gris terne contrastaient avec le cou musculeux, la large poitrine, les cheveux bruns et frisés de celui qui subissait ces apprêts funèbres. L’aide lui attacha au-dessus des chevilles deux sangles en forme de bracelets, reliées entre elles par une courroie longue de 30 centimètres ; puis on enleva au malheureux la camisole de force. On lui dit de se lever, il se leva ; on lui joignit les deux poignets derrière le dos. Un ardillon de boucle lui entra dans la chair, il jeta un cri ; son visage, impassible jusque-là, se contracta. Il eut dans les épaules un geste non de colère, mais de vive contrariété, et d’une voix très douce, un peu sourde, il dit : « Ne me faites pas mal, monsieur, je vous en prie ; si l’on voit que je souffre, je serai encore plus déshonoré. » Les assistans s’entre-regardèrent, et l’un d’eux dit involontairement : « Ah ! c’est bien long ! » Ensuite on lui lia les deux bras à la hauteur des biceps, de façon à les maintenir contre le dos et à effacer les épaules ; puis on réunit la ligotte des jambes à celle des poignets par une longue